Faut-il rappeler encore une fois que l'étincelle qui a provoqué la chute de l'ancien régime fut le geste d'un désespéré ne pouvant plus supporter l'injustice de sa condition. Le soulèvement, qui s'est forgé à partir de cet acte fondateur-si je puis dire- n'a point d'origine religieuse ni syndicale organisée. Un geste absolument laïc à tous les points de vue. Bouazizi fut un bon vivant à ses heures. Ouvrons une parenthèse pour préciser que le laïc désigne un homme du peuple, qu'aucune prérogative ne distingue ni n'élève au-dessus des autres. La laïcité est l'affirmation originaire du peuple comme union d'hommes libres et égaux... Encouragés par ce geste inaugural mais fatal, les jeunes tunisiens, soutenus par des femmes patriotes, sont descendus manifester leur colère dans les rues avec comme revendication absolue « la liberté dans la dignité ». Aucun slogan d'ordre religieux ne fut proféré. Une vérité qu'il ne faut pas manquer d'asséner à chaque fois ni occulter. Le mouvement, minoritaire au départ, est rejoint et soutenu par le reste du peuple, ensuite. Deux absences, et non des moindre, de l'espace de la lutte, celle des religieux frères-musulmans nahdhaouis et celle de l'UGTT. Il est vrai qu'il y avait eu quelques mouvements sectoriels revendicatifs de la part des ouvriers où on avait dû déplorer, au bassin minier de Metlaoui, quelques victimes des violences policières. Néanmoins les responsables syndicaux, compte tenu des actuels n'ont pas manqué uns seule occasion de ménager leur soutien à l'ex-Président Ben Ali. Ça, c'est de l'histoire! Le dernier quart d'heure de la lutte a vu rappliquer ceux qui allaient profiter du vide laissé par le départ hâtif de Ben Ali. Les religieux nahdhaouis n'ont pas manqué de profiter de la crédulité d'une bonne partie du peuple pour se servir. Ils ont agi de manière grossièrement machiavélique. Enfin le Machiavel du pauvre.Tout cela est cousu de fil blanc... Mais ce qui me fait réagir, en vérité, c'est la place dévolue à la Culture avec un grand C, ou plutôt, réservée à la politique culturel des gouvernements successif, plus d'une vingtaine d'années .Cette politique, ou absence de politique, n'a pas changé, à vrai dire, d'un iota. Ce n'est pas une affaire de personne, l'actuel titulaire du département culturel n'est pas en cause. Ce qui est en cause c'est l'absence de philosophie, d'idée, de stratégie, de programme, de choix concrets et pratiques, politique que nous vivons, enfin, depuis un moment. La démocratie est une grave responsabilité, il est vrai que nous baignons jusqu'au cou dans une ère démocratique... Mais, en l'absence d'une dynamique d'ordre culturel c'est le triomphe de la gabegie et de la médiocrité partout. L'absence d'une réelle politique culturelle, est restée de rigueur. Les responsables politiciens sont ignares en la matière.Tous, sans exception! L'idée de culture est, bien évidemment demeurée, obscure dans la tête de tous les politiciens impliqués dans les gouvernements conduits par les religieux. Il y avait même antinomie certaine entre la culture comme concept et les ministres de tutelle nahdhaouis. Je ne peux passer sous silence ce qui me reste en travers de la gorge; ce ministre de la Culture qui avait fait cause commune avec las casseurs wahhabites de la galerie Al Abdelliya condamnant la peinture exposée, alors que le peuple venait de se révolter, aspirant à l'émancipation des esprits, à la conquête des valeurs universelles de liberté et de dignité, mais non, le dit fonctionnaire-ministre de la Culture, frère musulman sans doute, du second gouvernement de la troïka, nous renvoie à l'obscurité superstitieuse, diluvienne, des aslaf, retour à la pensée hétéronome, retour à l'assujettissement, aux instances dogmatismes, aux préjugés religieux despotiques que nous n'avons pas connu même sous Ben Ali . Avec l'arrivée des frères musulmans-nahdhaouis aux affaires du pays nous avons assisté à une rupture régressive dans le champ culturel. Un renversement réactionnaire, avec censure et interdit et limite à la liberté d'imaginer et de créer, à la clé, l'exemple concret mais édifiant, cité plus haut. Le peuple a-t-il renversé l'ancien régime pour en arriver là? Les religieux ont instauré dans la société, une ambiance trouble, nous imposant un monde vermoulu par le dogmatisme, la superstition et la corruption, mais aussi, la peur et la haine de l'autre. Dois-je rappeler que, durant tout le soulèvement, aucun slogan religieux ne fut proféré. Mais le secteur culturel demeure sinistré... Un ministre-philosophe ou un philosophe-ministre de la Culture Les politiciens, surtout ceux marqués par l'orthodoxie religieuse ont toujours pensé la culture comme une affaire accessoire. Ils identifient la culture au divertissement, aux loisirs du « temps libre ».Il ne leur vient pas à l'esprit, l'idée de la culture comme progrès de la liberté, et de l'émancipation de l'individu sachant -et pour simplifier- que la culture c'est ce qui arrache l'homme à la nature, ce qui humanise, ce n'est pas quelque chose de superflu, uniquement pour nous amuser; le loisir a ses propres lois, ses propres codes. La culture est aussi divertissante dans ce sens où elle contribue à renouveler notre regard sur les choses et sur le monde en nous incitant à accepter ce qui « dérange », nous aide à accueillir les différences, la diversité, l'étonnement, l'interrogation. C'est aussi le rôle de l'art qui participe à la lutter contre les postures conservatrices de repli, de refus, de crainte de l'autre. L'art comme résistance à la bêtise du monde. La culture a bien évidemment partie liée avec l'éducation. Un jour viendra où on cessera de séparer éducation et culture, ce qui fait de l'homme le seul animal historique. Doit-on, pour réaliser cette idée de la culture, faire appel à un philosophe à la tête du département de la culture, suivant en cela l'exemple de Platon qui, afin de réaliser un modèle de justice dans sa République idéale nomme au poste de commandement un philosophe-roi, ou un roi-philosophe, afin de diriger la cité comme la raison dirige l'âme Cependant, nos successifs chefs de gouvernement, depuis le 14janvier 2011, ne l'entendent pas de cette oreille. Pour eux, et ils n'en démordent pas, la culture d'une nation ne dépasse pas le stade de l'anecdote événementielle - loisirs-amusement - divertir (dans le sens de détourner quelqu'un d'une préoccupation). Des festivals en veux-tu en voilà, de la variété sous toutes les coutures, de l'argent coulant à flot pour subvenir la guimauve avec de temps en temps, et pour faire bonne figure, de l'art dramatique. Pour le peuple du pain et des jeux...On n'est pas sorti de l'auberge ! C'est de culture vivante que nous avons besoin, conçue en termes de rapports humains et de vie quotidienne qui se voit violemment chahutés par le surgissement du nouveau monde artificiel, et l'entrée dans la société de communication illimitée. Il s'agit dorénavant de fournir aux citoyens différents moyens de se rencontrer, de prendre conscience d'eux-mêmes, de se concevoir dans leur complexité, de se confronter, d'échanger, de dialoguer afin de mieux se connaître et s'apprécier. Ainsi l'action culturelle doit-elle être faite de toute tentative de contribution à l'existence politique de la cité. Le politique implique la présence de la pensée, dans la mesure même où la pensée est une partie de la vie sociale, son simple développement transforme plus ou moins, selon son importance et son efficacité, cette vie sociale elle-même. La culture c'est la vie avec la pensée. Où est donc passé le livre? On ne lit plus ! M.K