En matière de prix, le festival international de Carthage fait dans la démesure et choisit clairement de laisser à la porte du festin culturel les jeunes et les publics périphériques. En effet, les prix affichés ne sont pas à la portée de toutes les bourses et il aurait été judicieux de prévoir des tarifs pour les jeunes, les étudiants et les chômeurs (et notamment parmi eux les diplômés). Rien de tout cela, au nom d'une discutable politique de rentabilité commerciale d'un festival dit culturel et organisé sur des deniers publics. Cette anomalie est grave car elle est en train de devenir la règle non écrite selon laquelle la culture a un coût que le public doit couvrir. Or, un festival organisé par le service public au nom d'une mission de service public ne saurait invoquer pareils arguments qui le placeraient dans une zone de non-droit. Le parfait contre-exemple réside d'ailleurs dans un autre festival tenu par le même ministère de tutelle: les Journées cinématographiques de Carthage. En effet, pour les JCC, les prix sont revus à la baisse au nom des politiques culturelles de l'Etat, ce qui d'ailleurs permet aux jeunes de fréquenter en masse ce festival alors que pour le FIC la hausse est astronomique et dépasse tous les prix pratiqués tout au long de l'année. En outre, la conséquence - logique - est que les gradins sont dégarnis avec une désaffection du public qui voudrait bien participer à la fête mais n'en a tout simplement pas les moyens. D'autre part, l'occupation des chaises ne devrait pas trop faire illlusion. En effet, en majorité, le public qui garnit cette section de l'amphithéâtre est constitué par les invités des sponsors qui bénéficient de billets de faveur en contrepartie de leur soutien. Ce qui somme toute est normal mais devrait être élargi aux publics jeunes qui en théorie sont les bénéficiaires du festival mais en réalité en sont exclus pour une insupportable question de prix. Après l'échec public de la soirée Samira Said avec des prix de 70 et 40 dinars, souhaitons que la frange du public ciblée par le concert de Jason Derulo soit au rendez-vous malgré des prix affichés à 100 et 60 dinars. Et ainsi de suite, car le festival tourne le dos à sa mission de service public de toutes les manières en proposant pareilles fourchettes de prix qui oscillent entre un raisonnable 25 dinars et un stratosphérique 100 dinars qui résonne comme un pied-de-nez au public "normal": La soirée la moins coûteuse du festival sera celle avec le Théâtre national et "Violences", la récente création de Fadhel Jaibi. Elle ne coûtera que 15 dinars, ce qui en soi pose problème car, normalement ce spectacle indirectement produit par le ministère de la Culture par le biais de subventions publiques devrait être proposé à des prix moindres. "Violences" est un spectacle amorti, déjà vu et aurait pu - pourrait si nous sommes écoutés - faire l'objet d'une grande soirée populaire, une soirée des exclus qui pourraient fouler le sol de cet amphithéâtre devenu trop cher pour le public. Dès lors, pourquoi pas "Violences" à seulement 10 dinars. A notre humble avis, le ministère de tutelle devrait fermement intervenir pour non seulement ajuster certains prix mais aussi offrir aux jeunes et aux chômeurs diplômés des billets de faveur de manière massive, ne serait-ce que pour garnir des gradins qui risquent de rester vides et tristes. D'autre part, il est essentiel que la direction du festival donne des précisions sur la fréquentation du festival et le nombre de billets effectivement vendus. Cette tradition qui existait dans un temps relativement récent constitue un baromètre réaliste de la mesure du succès de ce festival de Carthage. Et puisqu'on nous rebat les oreilles avec le mot "rentabilité", qu'on démontre qu'elle est au rendez-vous, sinon qu'on révise les options suicidaires qui mènent le festival de Carthage tout simplement à sa perte. Après avoir tourné le dos à son prestige d'antan, le festival tourne désormais le dos à son public au nom d'une hypothétique rentabilité et de choix artistiques populistes qui paradoxalement n'atteignent même pas leur cible. Il est temps de réagir après une première soirée qui n'a pas confirmé la belle facture - selon l'avis unanime du public et de la critique - de la soirée d'ouverture. Malheureusement, avec la succession effrénée des galas de divertissement qui s'annonce, il n'est pas dit que le public ne boudera pas un festival trop cher et pas assez diversifié. Avec Khaled, Kadhem et Rebai à 100, 60 et 50 dinars, avec Karam, Lemjared et Baraket à 80 et 50 dinars, la désaffection du public est plus que prévisible et le réveil des organisateurs risque d'être autant tardif que brutal. Il y a déjà urgence et péril en la demeure de Carthage confisqué, dépouillé de son aura et entravé par une discutable myopie en matière de politique culturelle.