La question s'est posée à la veille des festivals, quand on parlait de manifestations et d'agendas post-révolution. Des voix se sont élevées pour protester contre la programmation de certains artistes, revendiquant une nouvelle vision des festivals, avec une orientation qui romprait avec le passé et demandant de nouveaux visages sur nos scènes, des créateurs longtemps mis à l'écart par l'ancien système. Voulant satisfaire tous ces avis, le ministère de la Culture a abdiqué, sacrifiant sur l'autel de la révolution de grands noms qui faisaient, auparavant, drainer des milliers de spectateurs et remplissaient les gradins de l'immense amphithéâtre de Carthage. En même temps, le ministère a opté pour l'éclatement des espaces et a fait en sorte que le festival de Carthage se déroule dans différents lieux entre la banlieue nord et le centre-ville. Trois semaines après le début des festivals, le public fait encore défaut. Dans chacun de ces espaces, des artistes se sont souvent retrouvés devant un parterre quasi vide, certains ont même affiché zéro billet vendu. Est-ce du boycott? Pour quelles raisons le public tunisien qui ne ratait aucune occasion pour assister aux grands concerts de Carthage ou de Hammamet, s'est-il détourné des soirées estivales? En analysant de près la situation, on constate qu'au nom de la révolution et de la restriction budgétaire, beaucoup d'artistes de qualité on été écartés de la programmation et que d'autres en ont "profité", sans avoir un répertoire conséquent, encore moins la notoriété qu'il faut pour drainer le public. On a beau nous dire que le nombre timide des spectateurs est dû à sa frilosité, à un sentiment d'insécurité et au manque de publicité, nous avons bien constaté que certains artistes ont attiré l'attention du public et leurs concerts étaient une belle réussite, côté affluence. Nous en citons Saber Rebaï, Zied Gharsa, Nawal Ghachem, Ayo, Souad Massi… Que demande le public alors des festivals d'été? Telle est la question qu'aurait dû se poser le ministère de la Culture. Est-ce que le goût du public, qui venait en masse assister aux grands galas d'artistes d'ici et d'ailleurs, payant le prix fort (parfois, des centaines de dinars, comme pour Aznavour, par exemple), a si rapidement changé après la révolution ? Est-ce que le public est prêt à faire des concessions sur ses choix musicaux et à apprécier des chanteurs de second ordre, rien que parce qu'ils ne font pas partie du cercle proche du clan Ben Ali- Trabelsi ? Ce qui est certain, c'est que le public apprécie la qualité et sait faire la différence. Il est vrai qu'une vision nouvelle post-révolutionnaire de la culture s'impose et que le ministère devrait en tenir compte; mais la qualité doit être de rigueur et constituer le premier critère de sélection. Quant à nos artistes, ils sont appelés à réaliser qu'il ne suffit pas d'avoir été un chanteur oublié à l'époque de Ben Ali, pour revendiquer un statut de militant artistique opprimé et par là même, le droit d'envahir les scènes tunisiennes. Le public a dit son dernier mot : il n'y a que la qualité qui prime. Son verdict est sans appel. Ces artistes, qui ont chanté devant des chaises vides, ont dû comprendre que la révolution n'est pas dupe et que la culture post-révolution ne se fait pas du jour au lendemain. En attendant de nouvelles formes créatives qui iront avec l'esprit révolutionnaire, le public réclame son droit au divertissement, à la qualité…à l'art tout court.