Les temps sont durs, que ce soit en Tunisie ou ailleurs. La crise économique mondiale de 2008 pèse encore sur l'économie mondiale, même dans les plus grandes économies. Que dire alors des pays pauvres ou en développement ?Le but ultime de certains pays pauvres, en développement, ou ayant subi des révolutions ces dernières années, est devenu la garantie de la nourriture et des revenus pour la population. Tous ces pays cherchaient toujours à subventionner les prix des produits alimentaires de base afin de garantir un accès à l'alimentation. Mais à quel prix ? L'histoire, et même l'actualité économique d'aujourd'hui, nous enseignent que ces politiques ne sont plus viables, et ont engendré des déficits publics importants dans toutes les économies. Le coût de la subvention des produits alimentaires en Egypte par exemple a augmenté de 100% entre 2009 et 2012, alors qu'il est passé de 598MD en 2007à 1300 MD en 2013 en Tunisie. Le plus dur à assimiler dans cette politique de subvention, c'est que cet argent va aux mauvaises personnes, et ne bénéficie pas aux personnes concernées. Selon une étude de l'INS en coopération avec la Banque Mondiale, seulement 12% des dépenses de la subvention vont aux personnes pauvres, le reste profite à tout le monde quels que soient sa richesse et son revenu. Le cas de la Tunisie n'est pas unique. Au Burkina Faso, en Egypte, et aux Philippines, moins de 20% des dépenses de subventions alimentaires vont aux ménages pauvres. Selon le FMI, seulement 35% des dépenses de subvention vont aux personnes nécessiteuses, dans la région MENA. Selon l'INS, les premiers résultats de l'analyse de l'enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages de l'année 2010 montrent que le caractère universel (compensation indépendante du niveau de revenu) des subventions alimentaires nuit à l'efficience de cet outil en tant que mécanisme de lutte contre la pauvreté. En effet, bien que les ménages pauvres représentent près de 15,5% de la population tunisienne, ils ne perçoivent que 12% de l'enveloppe totale des subventions. En revanche, il faut noter que les subventions jouent un rôle indéniable comme filet de protection sociale pour la population pauvre pour laquelle les subventions représentent 20,6% de la valeur totale de leur consommation alimentaire, contre 10,3% pour la population la plus aisée. Par ailleurs, les subventions alimentaires contribuent à la réduction des inégalités entre les ménages en Tunisie. En effet, l'inégalité observée en 2010, mesurée par l'indice de Gini, s'élève à 37.4%, contre 38.5% en l'absence des subventions alimentaires. Ce constat basé sur les chiffres et qui vient confirmer une réalité déjà connue, confirme le caractère injuste de cette caisse, qui vient s'ajouter à son poids pharamineux sur le budget de l'Etat. Le gouvernement vient d'annoncer la levée de la subvention sur les conserves de tomates ce qui a entrainé une hausse de leur prix à raison de 20% depuis le mois de Septembre 2013. Concernant les autres postes de la compensation ,ils ont enregistré une hausse sans précédent, atteignant 179% pour les carburants et 5.9% pour le transport. Des pistes de réformes et des expériences étrangères à étudier Plusieurs pistes de réflexion pour réduire le poids des dépenses de subvention dans le budget des Etats, s'opposent toujours à des revendications sociales très importantes, qui a fait même chuter des régimes.Ces pays, et parmi eux la Tunisie cherchent à travers des réformes, à cibler les dépenses de subvention, pour qu'ils bénéficient aux personnes réellement nécessiteuses.Mais quelle forme doit prendre l'aide ciblée? Rien que le mois dernier, l'Iran a adopté un nouveau système de subvention des produits alimentaires. En effet, elle a entamé un programme de distribution gratuite de la nourriture, en remplacement d'un système de subvention indirecte. De leur côté, l'Indonésie et la Malaisie ont choisi de fournir des prestations supplémentaires en espèces pour les personnes nécessiteuses. Jusqu'à présent, les bons de rationnement alimentaire ont été l'option la moins populaire. Des propositions visant à introduire des programmes de coupons alimentaires dans des pays comme la Malaisie ont été rejetées sur la base qu'ils étaient trop américains et non-asiatiques. Selon les analystes, le nouveau système de distribution gratuite de produits alimentaires aux pauvres adopté par l'Iran, présente plusieurs inconvénients. En effet, il ne stimule l'apport calorique que de 15% seulement, et il est 4 fois plus cher comme moyen d'augmenter la diversité et la qualité de l'alimentation. Les coûts de distribution sont élevés, et le gaspillage est également un problème. Seulement 63% de la nourriture donnée a été effectivement consommée, alors que 83% de l'argent a été consacré à l'alimentation et 99% des bons ont été échangés comme prévu. Selon une étude comparative réalisée par l'IFPRI (Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires), les transferts alimentaires sont l'option la plus coûteuse dans des projets similaires au Yémen, en Ouganda et au Niger. L'Equateur a adopté un système où il y la distribution d'argent comme soutien directe et les bons pour l'alimentation. Les bons de rationnement alimentaires étaient l'option la plus réussie puisque les cartes données aux personnes nécessiteuses sont restreintes à certains types d'articles pour s'approvisionner aux magasins. Cette option permet une bonne alimentation et une réduction de la pauvreté. Ce n'est pas le cas de l'Egypte dont la subvention des féculents et du pain a entrainé une obésité de 70% chez les adultes, et plus de 29% des moins de 5 ans ont un retard de croissance.
La Tunisie peut -elle adopter les cartes de rationnement ? Le gouvernement semble prendre la question de la subvention au sérieux. Sur le plan de la subvention aux hydrocarbures, qui représente le gros lot, certaines mesures commencent à voir le jour. En effet, une levée progressive de la subvention de l'électricité au profit des grands consommateurs comme les cimentiers suit son cours. La levée totale sera effective au mois de Juin 2014. D'autres secteurs suivront dans les prochains mois. Une augmentation des prix des hydrocarbures est à prévoir cette année. Une étude réalisée par la Banque Mondiale signale à raison que le système actuel des subventions énergétiques en Tunisie est insoutenable pour le budget de l'Etat, inefficace sur le plan économique et inégal au plan social. L‘institution propose une stratégie globale de réforme basée sur la libéralisation des prix des produits énergétiques accompagnée de mesures en faveur des ménages faibles et des bas salaires. Sur le plan de la compensation des produits alimentaires, la question est encore plus difficile, car elle touche directement l'alimentation des citoyens. Les gouvernements post révolution étaient prudents sur ce sujet, afin d'éviter une nouvelle révolte. L'une des idées qui connaissent une réussite partielle sur le plan mondial, est la carte de rationnement. C'est une carte magnétique donnée aux ménages pauvres afin de s'approvisionner auprès des magasins, de certains produits alimentaires de première nécessité à des prix compensés. De cette manière on est sûr que la subvention est ciblée. Une telle option nécessite ,pour la Tunisie, la détermination des personnes. En effet, les hommes d'affaires et les personnes fortunées continuent à acheter le pain, et consommer les huiles végétales, au même prix que les pauvres, ce qui est injuste. Des responsables de la FAO ont même envisagé cette solution pour la Tunisie lors d'un colloque international. Cette solution, intéressante soit-elle, exige un gouvernement courageux, capable de prendre des décisions et de les assumer. En tout cas pas pour ce gouvernement, qui ne peut pas se lancer dans un projet aussi stratégique. Nous attendrons un gouvernement issu des prochaines élections. Une idée à creuser.