C'est dans les années soixante dix que le gouvernement Hédi Nouira a décrété les avantages aux Tunisiens résidents à l'étranger. La conjoncture internationale était caractérisée par une forte demande des pays industrialisés de la main d'œuvre bon marché. Sur un autre plan, la Tunisie, pays à peine sorti du colonialisme, en pleine reconstruction, devrait faire face à deux problèmes cruciaux : le chômage et le besoin du pays en monnaie étrangère. Hédi Nouira, d'une pierre, a réussi deux coups et la Tunisie a pu pendant des décennies cueillir le fruit de ces dispositions. Aujourd'hui, le contexte a changé. La conjoncture mondiale s'est totalement chamboulée. Il en est de même sur le plan intérieur. Aujourd'hui, nous avons une deuxième et troisième générations d'émigrés qui ont carrément opté pour la nationalité, leur pays d'adoption. Alors n'est-il pas temps de revoir ces avantages ?
Mondher Ben Salem : Membre de la société civile Ce régime est sectaire puisqu'il favorise une catégorie de citoyens par rapport à l'ensemble de la population. Car à part les émigrés résidents permanents à l'étranger, les autres bénéficiaires de ce régime ne contribuent nullement à l'équilibre économique et financier de la Tunisie. A titre d'exemple, il faut citer les étudiants dont les parents sont suffisamment riches pour leurs assurer des études à l'étranger. Outre le fait qu'on leur transfère des frais d'études et de vie à l'étranger qui dépassent allégrement un montant annuel de vingt mille dinars, ils reviennent après deux années à l'étranger avec des véhicules de haute gamme qui vont grever lourdement la balance en devise du pays le jour où ces véhicules sollicitent des réparations et des pièces de rechanges. De plus, ce régime a favorisé un trafic administratif et douanier par la vente du « Droit FCR » de certains émigrés. Enfin de quel droit on favorise une catégorie de citoyens par rapport à ceux qui ne se sont pas rendus à l'étranger mais qui contribuent, de forte manière, à la balance devise du pays ? Dans ce but, je cite les ouvriers du secteur pétrolier, des phosphates et les pêcheurs en haute mer.
Mohamed Salah AYARI Conseiller Fiscal Enseignant Universitaire
Effectivement et après l'ère du collectivisme, suite à l'avènement du Gouvernement Hédi NOUIRA qui a instauré une politique économique libérale à partir des années 70, les autorités tunisiennes ont opté pour l'encouragement de l'investissement extérieur d'une façon générale et pour l'attractivité des travailleurs tunisiens à l'étranger d'une façon particulière. Ces deux orientations ont été concrétisées par la promulgation de la fameuse loi d'Avril 1972 pour l'encouragement de l'exportation et de certaines dispositions fiscales en 1974 au profit des Tunisiens résidents à l'étranger qui veulent réaliser un projet dans leur pays natal. Les mesures qui ont été adoptées depuis le début des années 1970 ont révolutionné le paysage économique du pays, mais sans pour autant drainer un volume d'investissement très important et ce, à l'instar des pays du Sud-Est asiatique qui ont connu un flux d'investissements extérieurs très appréciable, et à un degré moindre des pays plus proches de la Tunisie, tels que le Maroc, la Turquie et certains pays de l'Europe de l'Est. Mais pour se concentrer sur les Tunisiens résidents à l'étranger, dont le nombre est assez important du fait qu'il avoisine 1.300.000 Tunisiens installés essentiellement en France et en Italie, je demeure convaincu que les mesures avantageuses qui ont été décidées en leur faveur depuis 1974 n'ont pas été enrichies et actualisées pour tenir compte surtout du déclenchement de la révolution du 14 Janvier 2011 qui a secoué tous les Tunisiens et particulièrement ceux résidents à l'étranger qui ont eu un sentiment de fierté d'appartenir à un pays qui a réussi, d'une manière plus ou moins pacifique en comparaison avec les autres pays du printemps arabe, à bannir un régime dictateur et à instaurer une jeune démocratie tant attendue. Par conséquent, et étant donné la situation économique très critique qui prévaut actuellement, avec un taux d'endettement qui a atteint 70% du PIB, un déficit commercial très inquiétant, une réserve en devises qui ne cesse de se dégringoler pour couvrir à peine 94 jours d'importation, une masse salariale qui engloutit 14% du PIB, des recettes fiscales qui ont atteint leur limite avec un taux de pression fiscale qui dépasse 22% du PIB, l'apport des Tunisiens résidents à l'étranger aurait été très bénéfique à travers notamment : – La réalisation des investissements massifs dans leur pays d'origine – L'amélioration des réserves en devises avec des transferts plus accentués – L'affluence orientée pour venir au secours d'un secteur touristique en agonie, afin de créer une certaine dynamique au niveau des hôtels tunisiens, à l'instar des frères algériens qui sont venus nombreux lorsque plusieurs pays européens ont boycotté la destination tunisienne Suite à la promulgation de la nouvelle loi de l'investissement et de la loi portant refonte du dispositif des avantages fiscaux qui sont entrées en vigueur à partir du 1er Avril 2017, le législateur aurait pu améliorer, par la même occasion, les dispositions fiscales décidées depuis 1974 au profit des travailleurs tunisiens à l'étranger afin de les pousser davantage à investir en Tunisie, dans le but : * D'améliorer les réserves en devises * De multiplier la création des projets * De participer à la création de nouveaux postes d'emplois * D'atténuer le recours à l'endettement étranger * D'approfondir le sentiment d'appartenance à leur pays natal * De tisser des liens plus profonds avec les jeunes tunisiens nés à l'étranger pour pérenniser leur attachement à leur pays d'origine