Pour certains, l'intelligence économique regroupe un ensemble de techniques légales pour recueillir et analyser l'information. Pour d'autres, il s'agit de renseignement économique, à la limite de la légalité. Dans ce contexte, « l'Expert » a eu cette interview avec Ronan Wanlin, spécialiste d'intelligence économique et des outils et méthodes de veille concurrentielles. En effet, il s'intéresse à la mise en œuvre d'une Veille Stratégique globale au sein des entreprises et à la sécurité de l'information. Il est invité régulièrement à des conférences et colloques internationaux en Europe et il publie régulièrement des articles dans plusieurs revues dont son dernier article intitulé « La France menacée de perdre son industrie » publié sur la revue de l'Observatoire des études stratégiques. * Il existe toujours une confusion entre les pratiques dites d'intelligence économique et les affaires qui relèvent de l'espionnage en Tunisie. Quelles sont les différences entre ces deux notions ? En France aussi nous devons faire face à ce manque de compréhension et de culture générale en matière d'intelligence économique. L'intelligence économique peut être définie comme l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l'entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délais et de coût. L'information utile est celle dont ont besoin les différents niveaux de décision de l'entreprise ou de la collectivité, pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à la réalisation des objectifs définis par l'entreprise dans le but d'améliorer sa position dans son environnement concurrentiel. Ces actions, au sein de l'entreprise, s'ordonnent en un cycle ininterrompu, générateur d'une vision partagée des objectifs à atteindre. De ce fait, l'information économique nécessite une gestion stratégique car elle est devenue l'un des moteurs essentiels de la performance globale des entreprises et des nations. Les entreprises évoluent alors dans un nouveau contexte, fait de concurrence et de coopération, dans lequel la conduite de leur stratégie repose sur leur capacité à accéder aux informations afin d'anticiper les nouveaux marchés potentiels et les stratégies des concurrents. * C'est une notion qui se développe maintenant en Europe et elle est même institutionnalisée. Oui, elle se développe de plus en plus mais pas assez. Je veux juste revenir sur la question de la différence entre espionnage et intelligence économique. L'intelligence économique travaille à partir de ce qui est en « source ouverte ». C'est-à-dire toute information, autrement dit en « libre accès », le plus souvent non structurée, qui a donc une valeur ajoutée initiale très moyenne sur le marché de l'information qualifiée. Ainsi, il va s'agir de la traiter, de la raffiner un peu comme un produit pétrolier brut que l'on raffine pour lui faire rendre toute sa potentialité énergétique par le biais d'un processus de transformation, d'analyse et de filtrage technologique complexe. A l'issue de ce processus de traitement, des éléments prégnants susceptibles de générer une haute valeur ajoutée en fin de cycle vont être ainsi extraits de leur contexte de captation. L'espionnage c'est complètement autre chose En effet, l'espionnage industriel ou espionnage économique est l'espionnage qui vise le commerce, par opposition à celui, plus habituel, qui vise la sécurité nationale. Donc, dans l'intelligence économique, on va capter des informations qui sont parfois non structurées et qu'on va traiter pour créer une valeur ajoutée. Dés lors, en France comme en Tunisie, ils ne font pas toujours le distinguo nécessaire entre intelligence économique et espionnage. On a vraiment besoin de dédramatiser tout ce qui touche aux renseignements. * A votre avis, comment expliquer la multiplication des conflits dans le monde d'aujourd'hui ? Aujourd'hui, il y a un premier constat depuis la mondialisation rose. Le monde s'est globalisé et, depuis la fin de la guerre froide, on a cru dans le monde occidental qu'on allait vers la paix perpétuelle. En fait, ce n'est pas le cas et on le distingue car les faits aussi le prouvent aussi bien dans le monde économique (la main invisible d'Adam Smith et l'autorégulation du marché n'existe pas) que dans les conflits mondiaux qui prouvent au contraire que ce que les tenants de la mondialisation heureuse l'appelaient le vieux monde n'existe pas du tout. Au contraire ce vieux monde existe, il est toujours en place et c'est le monde qui fait le rapport de force. Effectivement, il y a plusieurs conflits qui impliquent certaines puissances qui ont un champ d'action mondial. C'est notamment le cas par exemple de la Corée du Nord. Une question qui se pose : comment un Etat qui est marginalisé anachronique peut-il défier Washington, la première puissance mondiale ? Je pense que, si on analyse un peu le sujet, l'existence de la Corée du Nord rend service à tous les grands acteurs de la vie pacifique, que ce soit des acteurs asiatiques ou occidentaux, notamment les Etats-Unis d'Amérique. En août 2017, il y a eu une crise balistique avec la Corée du Nord où on a tous craint un embrasement d'un conflit qui montre, à mon avis, que les affaires nord coréennes ne peuvent pas du tout être vues comme une simple position entre les Etats Unis et la Corée du Nord. Depuis la fin de la guerre froide, la Corée du Nord a été affaiblie, elle est sous développée et elle connait des famines répétées. Elle reçoit d'ailleurs l'aide alimentaire internationale de la Chine, ce qui semble logique, mais également de la Corée du Sud et les Etats Unis. Ainsi, on peut se demander pourquoi la Corée du Sud et les Etats Unis vont aider la Corée du Nord ! Donc, tout de suite, la grille de lecture semble se compliquer. Il faut indiquer aussi la grave situation économique dans laquelle elle se trouve : sa balance commerciale est déficitaire depuis les années 70, la Corée du Nord dépend quasiment des investissements directs étrangers de la Chine, un peu de la Corée du Sud et également de la Russie. On retrouve ces acteurs dans les partenaires principaux de la Corée du Nord. Il faut rajouter également le Japon, la Syrie et le Pakistan. Il faut souligner aussi que la Corée du Nord vit essentiellement du trafic d'armes et de drogue. Un autre point important, c'est que, depuis la chute du bloc soviétique, c'est le seul pays communiste qui ne s'est pas converti à l'économie de marché. * Je veux revenir sur deux décisions que Trump a annoncé récemment. La première c'est la taxation sur tout ce qui est acier ou aluminium. Et la deuxième décision, c'est la renégociation du traité d'ALENA Ce qu'il faut comprendre, c'est que Trump a une nouvelle manière de faire aux Etats-Unis. En fait, les Etats-Unis ont un véritable patriotisme économique et ils protègent leurs intérêts. Leurs décisions par rapport à la taxation de l'aluminium et l'acier sont considérées comme une question de sécurité de l'industrie et, par la suite, une question de sécurité nationale. Les Etats-Unis visaient par là se protéger de la Chine qui est le premier producteur et exportateur de l'acier dans le monde. C'est donc une question d'intervention de la politique sur le monde économique qui est fondamentale à comprendre.
* justement, je veux revenir sur cette relation entre l'économique et le politique. Vous venez de publier un article sur la revue de l'Observatoire des études stratégiques intitulé, « La France menacée de perdre son industrie » et je pense que si on lit entre les lignes, les intérêts de la France envers un pays comme la Tunisie ne peuvent pas converger, mais plutôt diverger. * Non, je ne pense pas que les intérêts de la France et de la Tunisie ne peuvent faire que diverger, mais je pense que la France suit actuellement une politique vis-à-vis de la Tunisie qui est relativement encourageante parce que la Tunisie connait une vague de contestation sociales début 2018 suite au vote de la loi de finances. Je pense également que la Tunisie a besoin d'une vraie relance économique et d'un flux d'investissement avec une consolidation de l'Etat de droit. * Certainement, mais vous vous opposez à tout ce qui est délocalisation !!! Du point de vue français, l'intérêt principal de la délocalisation est de pouvoir faire marcher tout un système ou une activité économique à moindre coût. En revanche, cela se fait effectivement aux dépens de travailleurs français, donc, à mon avis, la délocalisation n'est pas souhaitable. Cependant, au niveau de la Tunisie, la France est le premier contributeur à travers la FRB (Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité) en signant des accords de 1200 milliards d'euros de soutien du plan quinquennal 2016/2020, bien devant l'Union Européenne. Revenant à la notion de l'intelligence économique. Comment l'intelligence économique contribue-t-elle à l'amélioration de l'information économique en France ? Aujourd'hui, la plupart des organisations publiques et la plupart des grandes entreprises industrielles dont le secteur clé est l'énergie ou la défense, ont intégré des systèmes en termes d'intelligence économique. En revanche, on regrette l'absence des bénéfices de l'application de l'intelligence économique. Mais le pouvoir public ne semble pas être assez attentif à ces questions parce qu'il nie les rapports de forces qui existent de manière idéologique dans un monde libéral où l'Etat n'a pas la mainmise sur les rapports privés entre les entreprises et c'est très intéressant parce que Macron, quand il était ministre, a dit que l'Etat n'a pas à interférer dans les rapports privés entre deux entreprises. Ainsi, je pense que l'Etat refuse de centraliser les actions et les nécessités qu'implique la guerre économique. Cependant, l'intelligence économique n'est qu'un instrument palliatif pour se débarrasser d'un phénomène qui est la guerre économique. Je pense donc que cette absence de lucidité des institutions et des pouvoirs publics freine la réussite française.