Dans une interview accordée au » Le point Afrique » , la présidente de la commission des droits et des libertés individuelles, l'avocate et députée indépendante Bochra Belhaj Hmida a fait d'importantes recommandations sur des sujets clefs de la société tunisienne. ci après l'interview par BENOÎT DELMAS: Dans le rapport très important de la commission des droits et des libertés individuelles (Colibe), plusieurs questions sensibles ont fait l'objet de recommandations et de projets de loi. Ainsi de l'abolition de la peine de mort, de l'égalité homme-femme devant l'héritage, la dépénalisation de l'homosexualité... Autant de points que sa présidente a accepté d'aborder avec Le Point Afrique. La voilà qui quitte une séance plénière à l'ARP consacrée à l'enrichissement illicite. Au premier étage du palais du Bardo, quand on lui demande comment elle va, son large sourire se passe de mots. Sa mission est accomplie. Il y a dix mois, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, lui confiait la présidence de la Colibe. Un projet que BCE portait depuis 2014 : la base d'un code des libertés individuelles. « Bochra »comme tout le monde l'appelle ici a rendu son rapport le 8 juin entouré des neuf autres membres de cette commission. 230 pages qui sont à la fois un état des lieux de l'arsenal législatif tunisien en matière de droits personnels et d'égalité. Si on a longuement évoqué la question de l'héritage, ce rapport est beaucoup plus vaste. Il devrait provoquer un vaste débat de société en Tunisie. Et provoqué des réactions au sein du monde arabe. Le Point Afrique : Quelle était votre feuille de route ? Bochra Belhaj Hmida : Très claire. Un rapport consacré à deux questions : l'égalité d'une manière générale et les libertés individuelles. Il fallait effectuer un état des lieux : qu'est-ce qui existe, qu'est-ce qui manque. On a opté pour un processus participatif. On a discuté, on a invité la société civile, les partis politiques à réagir sur cette commission et à nous faire des propositions. L'idée, c'est de faire des réformes. Nous avons eu des débats très intéressants avec des professeurs de la Zitouna pour savoir dans quelle mesure l'islam s'adapte aux respects des libertés individuelles et à l'égalité homme-femme. Nous avons reçu des leaders d'opinion, des journalistes... Il s'agit du code des libertés individuelles que souhaitait depuis 2014 Béji Caïd Essebsi ? Il a parlé d'un code avant de parler de l'égalité devant l'héritage. Il avait le souci des libertés individuelles, car il a écouté les jeunes, compris qu'ils avaient un problème. Si l'on revient à l'histoire, la question des libertés individuelles n'était pas assez présente. Nous étions plus préoccupés par les libertés politiques, publiques, collectives. Ce sont les jeunes, après la révolution, qui ont demandé à ce qu'on défende les libertés individuelles. Comment avez-vous travaillé ? On se réunissait une fois par semaine. On a commencé trois jours après avoir été nommés par le président. On discutait de chaque question, on débattait. Certaines questions demandaient plus de temps. On a organisé des réunions, on a invité des associations, certaines ont fait des propositions par écrit, d'autres verbalement. C'est l'état des lieux qui a déterminé notre travail. Nous n'avons pas hiérarchisé les sujets. Quand on a eu fait le tour des lois discriminatoires ou attentatoires aux libertés individuelles, on a commencé à réfléchir aux réformes. Quel bilan faites-vous de cet état des lieux des libertés ? Sur plusieurs sujets, les handicapés, le racisme, il y a des lois. Sur d'autres questions, il y a des textes soit discriminatoires soit flous. On peut dire qu'il y a eu beaucoup d'avancées en Tunisie, mais qu'il demeure des discriminations par la loi. Le Code pénal est souvent jugé obsolète... Le constat est qu'il est archaïque. Mais nous n'avons pas un mandat pour tout réformer. La commission qui est chargée de la réforme du Code pénal a beaucoup de travail devant elle. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il est obsolète au niveau des peines, des délits prévus, mais aussi au niveau de la politique des peines. Est-ce que la société est prête à de telles réformes sociétales ? En 1956, elle ne l'était pas. Elle s'est adaptée. Très vite. En 1959, premières réformes. Puis 1981, 1989. Elle s'est tellement adaptée qu'au fur et à mesure de l'exercice de ses droits, la société s'est rendu compte que c'était en deçà de ses besoins. La société n'est pas prête ? Oui. Mais le rôle de l'élite n'est pas d'être derrière, mais en avant. Je considère que les Tunisiens et les Tunisiennes ont le droit et valent bien un débat sur des questions aussi importantes, même si elles semblent secondaires pour certains par rapport aux questions économiques, la cherté de la vie... Les Tunisiens ne sont pas seulement dans la recherche du gain, du pain comme on dit. Les slogans de la révolution étaient « dignité » et « liberté ». La Constitution : « liberté » et « égalité ». Les Tunisiens méritent ce débat sur des questions de civilisation. Désormais, c'est le président de la République qui décidera de l'avenir du rapport... C'est lui qui décide de ce qu'il veut garder, ajouter. Et il décide de la procédure : passer directement par le Parlement, il en a le droit, ou saisir le gouvernement. C'est son initiative, il peut faire comme et quand il le veut. Je ne peux pas vous dire ce qui sera annoncé, car je ne le sais pas, mais le 13 août (date de la promulgation, en 1956, par Habib Bourguiba, du Code du statut personnel) prochain sera une date très importante pour la Tunisie. Est-ce que le contexte politique, très venimeux, est un obstacle ? Ce code, c'est une opportunité pour un débat de fond. L'occasion pour les politiques de débattre non pas sur des questions de formes – qui va être nommé au gouvernement, qui reste, qui s'en va –, mais sur des choix de société. C'est important pour les nouvelles générations. Les homosexuels n'ont jamais été aussi nombreux à être condamnés à la prison ferme. Que proposez-vous ? Premier choix : la dépénalisation. Second choix : réduire la peine à une amende, maximum cinq cents dinars. Nous demandons l'interdiction du test anal qui n'est plus un moyen de preuve. Il n'est pas prévu par la loi, mais c'est la jurisprudence qui en a fait un moyen de preuve. Sur le nombre d'arrestations d'homosexuels, c'est la vérité. C'est une question qui se pose : pourquoi ? Est-ce que c'est un choix ? Je ne pense pas que le gouvernement après la révolution ait décidé de procéder à plus d'arrestations. À moins que l'administration tunisienne, du fait qu'il y a un parti islamiste, ait fait un excès de zèle. Ainsi que la justice. Des juges disent « il y a la loi, alors je l'applique », je ne suis pas d'accord. Au ministre de la Justice de donner les priorités de la politique pénale du pays. Sur la question de l'égalité homme-femme devant l'héritage, le problème est-il religieux ? Vous dîtes religion, je vous réponds « argent ». On utilise la religion quand ça nous arrange. Je n'ai jamais entendu personne traiter de mécréant quelqu'un quand il ne donne pas sa part d'héritage à sa petite sœur, sa femme... Alors que c'est clairement interdit par la religion. J'ai vu des femmes modernes refuser cette égalité. Certaines pensent « mon mari va donner une part plus importante à sa sœur ». C'est vraiment l'argent qui est au cœur de ce débat. Quand on a sorti la première pétition demandant cette égalité, un communiste m'a presque agressée alors qu'un monsieur très pieux m'a félicitée. Pour moi, le problème n'est pas la religion, mais son instrumentalisation.