Le projet de la loi organisant la profession de conseiller fiscal, constitue « une exclusion de la profession comptable » en donnant le monopole du conseil fiscal aux conseillers fiscaux agrées. Cette exclusion est de nature à affecter la compétitivité des entreprises par des coûts supplémentaires. En effet, nul ne conteste que la comptabilité sert de base à la préparation des déclarations fiscales. Charger une autre profession de compiler les déclarations fiscales et d'accomplir les formalités fiscales à la place de la profession comptable à l'ère de la déclaration par internet serait un non-sens et va faire de l'entreprise une vache à lait en alourdissant ses coûts et en affectant sa compétitivité. Non seulement un tel monopole augmenterait le coût des transactions et altérerait la compétitivité des entreprises et de l'économie, mais il va marginaliser la profession comptable (notamment celles des comptables et des experts comptables) qui constitue un acteur incontournable de la vie des entreprises y compris dans le domaine fiscal. Au-delà de toute considération juridique, le caractère incontournable de la profession comptable dans le domaine de la fiscalité résulte principalement de la compétence du professionnel comptable en fiscalité (A) et de l'interconnexion entre la comptabilité et la fiscalité (B). Ce caractère incontournable est confirmé aussi par les textes fiscaux eux-mêmes (C). 1. Compétence du professionnel comptable en fiscalité : Partenaire privilégié de l'entreprise en matière du droit fiscal et du droit des affaires, le professionnel comptable peut assurer toutes missions fiscales et juridiques accessoires à la mission de tenue, d'assistance et de supervision comptable, dont notamment les missions d'audit, de diagnostic et de conseil fiscal. Aussi, le professionnel comptable est habilité à mener des missions fiscales se rapportant aux missions de contrôle fiscal à l'exception, toutefois, des missions de représentation devant les tribunaux de l'ordre judiciaire ou administratif ou auprès des administrations et organismes publics, ce qui d'ailleurs ne prive pas le contribuable redressé de se faire accompagner par un professionnel comptable en phase soit de discussion contradictoire avec l'administration, soit de conciliation judiciaire. Par ailleurs, en portant la casquette de commissaire aux comptes, le professionnel comptable doit avoir une connaissance parfaite du droit fiscal et du droit des affaires pour se prononcer sur la régularité et la sincérité des comptes annuels conformément au système comptable des entreprises. En d'autres termes, l'identification du risque fiscal fait partie intégrante de l'audit légal. De tels risques doivent, en, effet, être pris en compte au niveau des états financiers. La capacité de la profession comptable à jouer son rôle de partenaire privilégié de l'entreprise dans le domaine fiscal et des droits des affaires trouve une large explication dans la formation acquise par cette profession, qui justifie aujourd'hui, et incontestablement, du nombre d'heures d'enseignement universitaire dans les disciplines fiscales, le plus important en volume et le plus qualifiant en techniques fiscales. Consciente de l'impératif d'assurer un niveau élevé d'expertise fiscale, les efforts de la profession comptable dans le domaine de la formation continue sont de plus en plus soutenus. Dans ce sens, la profession comptable est un acteur principal, en collaboration avec d'éminents juristes et de grandes compétences fiscales, dans la formation fiscale privée et publique. 1. Interconnexion entre comptabilité et fiscalité : L'interconnexion entre la comptabilité et la fiscalité est un facteur qui place la profession comptable au cœur du métier fiscal. L'examen des dispositions légales de notre droit fiscal montre d'une manière claire et indiscutable la forte interaction qui existe entre la comptabilité et la fiscalité. D'une part, les règles du droit fiscal font souvent référence à l'obligation pour les entreprises de tenir une comptabilité régulière et probante. L'article 62 du code de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et de l'impôt sur les sociétés est, en fait, une consécration législative de l'interdépendance qui existe entre comptabilité et fiscalité. Cet article dispose en effet, ce qui suit : «Sont assujetties à la tenue d'une comptabilité conformément à la législation comptable des entreprises, les sociétés et autres personnes morales quels que soient leur nature, leur forme juridique et leur objet ainsi que toute personne physique soumise à l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux». Il est aussi remarqué que certains avantages fiscaux liés à l'exploitation prévus notamment par le code de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et de l'impôt sur les sociétés exigent aussi la tenue d'une comptabilité conformément à la législation comptable des entreprises. D'autre part, la panoplie des retraitements devant être opérés sur le résultat comptable pour aboutir au résultat fiscal imposable est, sans doute, le meilleur exemple qui puisse démontrer cette interconnexion entre la comptabilité et la fiscalité. Les différents spécialistes qui interviennent dans la matière fiscale (juristes, professionnels comptables, économistes, avocats) prouvent que la fiscalité ne peut être abordée sans prendre en compte la comptabilité et les autres problématiques de la vie économique. On peut donc affirmer sans risque d'erreur que « Celui qui ne connaît pas la comptabilité ne sera jamais un bon fiscaliste ». Cette affirmation est confirmée par le professeur M. Cozian dans l'avant-propos de son livre « Précis de fiscalité des entreprises » en soulignant que « celui qui ne connait que la fiscalité ne sera jamais un fiscaliste ». 1. Confirmation législative du caractère incontournable de la profession comptable dans le domaine fiscal : Les textes fiscaux eux-mêmes confirment le caractère incontournable de la profession comptable dans le domaine fiscal. Nous vous présentons ci-dessous certaines dispositions fiscales qui en témoignent : * Dispositions relatives à la restitution du crédit d'impôt : Sous paragraphe 2 du paragraphe III de l'article 15 du CTVA, paragraphe III bis de l'article 15 du CTVA, sous paragraphes 1 et 2 du Tiret I du paragraphe I bis de l'article 54 du CIRPPIS. * Dispositions relatives à la fusion et à la scission : Paragraphe IV bis de l'article 49decies du CIRPPIS et le paragraphe 5 de l'article 23 du code des droits d'enregistrement et de timbre. * Abandon de créances à la charge des entreprises en difficultés économiques : Paragraphe VII terdecies de l'article 48 du CIRPPIS et le Paragraphe IX de l'article 48 du CIRPPIS. Conclusion La question devrait à notre avis être analysée en terme, non pas de monopole et de corporatisme, mais plutôt en terme de compétence et d'intérêt national. Que celui qui crée la meilleure valeur ajoutée soit autorisé à prester le service et c'est cela qui stimulerait la demande du service fiscal. Dans le domaine de la fiscalité, la Tunisie a besoin de toutes ses compétences (comptables, experts comptables, avocats, conseillers fiscaux, enseignants...) pour contribuer à l'amélioration du système fiscal tunisien et aussi pour conseiller les entreprises afin de les prémunir contre les risques fiscaux. Le professionnel comptable doit donc compléter régulièrement et mettre à jour ses connaissances. La formation continue constitue ainsi une condition du maintien de la compétence professionnelle et doit être même une obligation pour tous les métiers de conseil liés à l'entreprise.