Sous le thème de «L'intégration dans la zone euro-méditerranéenne dans le contexte de crise financière et économique actuelle». L'UTICA Sfax a organisé une journée réunissant des experts et professeurs tunisiens et étrangers dont notamment M. Nicolas Ligneul, un avocat spécialiste en droit économique. Les débats ont été centrés essentiellement sur les difficultés auxquelles font face les secteurs de l'industrie du commerce, de l'huile d'olive, etc.
Les relations entre la Communauté européenne et la Tunisie datent de 1976. Ces dernières années, elles ont été substantiellement modifiées en raison de la mise en place de la politique communautaire de voisinage depuis 2003, et de la relance du processus euro-méditerranéen pendant la présidence française de l'Union. A l'heure de la crise économique et financière internationale, les relations euro-méditerranéennes sont donc dans une situation tout à fait originale, qui est celle d'une double crise. En premier lieu, le système commercial multilatéral est paralysé depuis plusieurs années. Ses fondements mêmes sont contestés. Les valeurs qu'il défend sont contestées dans les pays du Nord, où il est considéré comme attentatoire aux droits fondamentaux et aux droits sociaux. Quant aux Etats su Sud, ils s'indignent de la place accordée aux pays du Sud. En particulier, le système commercial multilatéral est contesté parce qu'il ne parvient pas à accorder aux pays émergents une place spécifique entre les pays industrialisés et les pays les moins avancés. Le multilatéralisme est donc en crise et cela dure depuis une dizaine d'années. En deuxième lieu, le système commercial multilatéral a remis en cause avec force la politique commerciale qui était menée par la CE depuis des décennies. Ainsi, depuis l'affaire « Bananes III » de 1997, les décisions de l'Organe de Règlement des Différends ont sonné le glas de l'ancienne politique commerciale de la Communauté qui était fondée sur la proximité culturelle entre la CE et ses partenaires. Schématiquement, les décisions des groupes spéciaux et de l'Organe d'Appel ont obligé la Communauté a justifié des raisons pour lesquelles elle souhaitait adopter des règles spécifiques à l'égard de chacun de ses partenaires commerciaux. En ce qui concerne les relations entre la Communauté européenne et la Tunisie, cela a, évidemment, eu des conséquences importantes : il n'est plus possible de fonder leurs relations bilatérales sur l'héritage d'une culture commune. Pour l'Organe de Règlement des Différends, la Tunisie, ne peut plus, simplement parce qu'elle est la Tunisie, bénéficier d'une facilitation des échanges. Les intégrations économiques régionales sont contestées avec vigueur par l'Organisation mondiale du Commerce. Le régionalisme est donc en crise. Face à cette double crise du multilatéralisme et du régionalisme, les Etats ont décidé d'avoir recours à des relations bilatérales ou plurilatérales dans un cadre différent de celui de l'OMC. Les relations euro-méditerranéennes sont un excellent exemple de cette nouvelle forme de relations interétatiques. L'idée est de recourir à de nouveaux partenariats économiques, non plus seulement commerciaux, mais aussi juridiques, politiques ou sociaux. Cette nouvelle voie de partenariat a l'intérêt de permettre, non pas seulement les relations commerciales, mais aussi les valeurs non commerciales qui avaient été insuffisamment promues par le système commercial multilatéral (promotion des droits de l'homme, défense des droits sociaux, de l'environnement et du développement durable,…). Elle n'intervient plus dans un cadre universel et est susceptible d'échapper à la rigueur du contrôle de l'OMC et de son organe de Règlement des Différends. Compte-tenu de cette réaction à la double crise du système commercial régional, il semble évident que les Etats ont besoin de développer des relations commerciales et que, compte-tenu de la place de la Communauté dans les relations commerciales externes de la Tunisie (la Communauté européenne est son premier client et son premier fournisseur), il est impératif de promouvoir ces relations commerciales. Cette promotion peut être réalisée en dehors de l'OMC et poursuivie dans un cadre strictement euro-méditerranéen. Elle peut aussi être réalisée au travers d'une refonte de la structure même de l'Organisation mondiale du commerce. Cela permettrait d'assurer l'égalité entre Etats, qui est l'accessoire du principe du recours au multilatéralisme dans l'Organisation mondiale du Commerce, et cela permettrait de conserver les acquis de l'OMC dans le contrôle du système commercial multilatéral (organe d'examen des politiques commerciales, mais aussi, et surtout, Organe de règlement des Différends). Il serait dommage, en effet, de perdre le bénéfice du principe du multilatéralisme qui est un important apport de l'OMC. En revanche, cette réforme fondamentale du système commercial multilatéral supposerait une véritable révolution à l'OMC, notamment, pour qu'elle prenne en considération les droits de l'homme, les valeurs sociales, le développement durable, la spécificité des pays en voie de développement ou l'identité culturelle. Cette révolution est de toute façon souhaitable. Voilà pourquoi la crise économique et financière internationale actuelle sera peut-être, paradoxalement, profitable au système commercial multilatéral en général et aux relations euro-méditerranéennes en particulier. C'est, à titre personnel, tout le mal que je leur souhaite. Paris, le 29 avril 2009 ------------------------------------------------------------------------ Date du premier accord d'association entre la CE et la Tunisie. Par exemple, c'est sur la base de ces nouveaux partenariats que la CE a encouragé les réformes récentes du droit tunisien favorables à la création d'un guichet unique pour les entreprises.