Mine de rien, le long débat qui se déroule dans notre pays sur la condition féminine depuis un siècle et demi (c'est-à-dire depuis le démarrage de l'œuvre réformatrice, en 1861), ce long débat a valu, et vaut encore, à la Tunisie une place privilégiée dans le cœur des citoyens du monde. C'est que la femme, dans l'imaginaire collectif des hommes, symbolise avec l'enfant et les personnes âgées, l'être vulnérable par excellence. Une conviction bien ancrée, ces trois catégories de citoyens ayant souffert dans leur chair et dans leur dignité. Ce long chapelet de victoires vient d'être couronné par un acquis inestimable, à savoir la parité hommes et femmes par alternance dans les listes électorales. C'est une première dans l'histoire de l'humanité. On en a pour illustration le vibrant hommage rendu par Bertrand Delanoë, maire de Paris et une des figures de proue du parti socialiste français, à cette nouvelle conquête de nos concitoyennes. Pour nombre de commentateurs et d'analystes, cette conquête honore non seulement le monde arabo-musulman mais aussi toute la planète. Elle confère à la Tunisie une dimension rayonnante dans le domaine des droits de l'Homme. C'est de toute évidence un signe de grandeur pour ce pays si petit de taille mais si marquant par bien d'autres réalisations flatteuses.
Mais arrêtons-là le dithyrambe de peur de tomber dans l'autosatisfaction et, au-delà, dans le chauvinisme, deux tares que nous avions dénoncées il y a quelques semaines dans ce même cadre journalistique. Et risquons quelques observations qui, nous l'espérons, n'égratigneront pas la fierté de nos compagnes. Car, une initiative de cette importance peut susciter chez certaines femmes qui ont une autre conception de la dignité féminine, une réaction quelque peu critique. «Ce n'est pas en imposant la parité dans ce domaine, se disent ces femmes, que l'on peut crier victoire et que l'on a droit de jubiler». Elles partent de la conviction suivante: le problème n'est pas seulement d'inscrire l'égalité entre les deux sexes mais de prendre puissamment en compte un autre paramètre, non moins percutant, celui de la complémentarité. Il y en a même qui considèrent que, dans l'équation, le terme de complémentarité est plus productif, et si l'on ose dire, plus riche en perspectives d'épanouissement que celui d'égalité. Ce qui ne veut nullement dire, entendons-nous bien, qu'il faille l'exclure du lexique des droits de l'Homme. Bien au contraire!
Explicitons davantage, la question. La femme peut, en effet, jouer un grand rôle public. Mais elle est plus douée dans l'exercice démocratique de proximité. Sa contribution dans la gestion municipale est plus consistante et plus généreuse. Cela tient à ce que la compagne de l'homme aborde le réel avec une sensibilité plus vive, plus humaine et plus chargée d'empathie, cette faculté intuitive de se mettre à la place d'autrui, de percevoir ce qu'il ressent. A titre d'exemple, les femmes occupent une place de choix dans le corps médical et paramédical. C'est ainsi qu'elles militent avec cœur et abnégation au sein du tissu associatif. Elles sont susceptibles d'en faire un front inexpugnable au service de la démocratie et des droits de l'Homme. Par contre, au niveau du militantisme politique proprement dit, elles sont peut-être un peu moins engagées.