Le régime de Ben Ali nous en a donné de multiples exemples. D'où l'idée d'un pacte républicain qui, par son poids moral, serait censé l'immuniser contre tout dérapage. Mais cette idée plaît-elle à tout le monde? Pendant les trois mois qui ont suivi la fuite du président déchu, le mot qui était sur toutes les lèvres revendicatrices était celui de démocratie. Les notions de liberté et de dignité y trouvent en effet le réceptacle tout indiqué pour s'assurer une permanence, une légitimité, une pérennité qui les mettent à l'abri des aléas du sort. Mais, petit-à-petit, ce terme cédait la place à un autre terme comme si on s'était tranquillisé sur son sort et que plus rien ne pouvait désormais mettre son existence en danger. La liberté de penser, de parler, de se réunir, de manifester, de se déplacer, de revendiquer, etc. font partie désormais du vécu quotidien des gens. Mais au profit de quel autre terme le mot de démocratie affiche-t-il, si l'on ose dire, son mutisme? Au profit du mot de république. On tient aujourd'hui à doter cet édifice d'un système de défense qui lui évite les sautes d'humeur sociales, les caprices d'un responsable qui s'arroge le droit de détenir à lui seul le pouvoir, les accidents de l'Histoire, etc. Il s'agit de le protéger dans le cadre de la Loi, des textes juridiques, des institutions, de toute une kyrielle de mécanismes qui rectifient le tir chaque fois que l'exige la situation. D'où cette idée de pacte républicain qui a fait une très légère apparition au tout début du mouvement révolutionnaire pour s'enfler progressivement jusqu'acquérir une urgence incontournable.
Moral mais pas contraignant Qu'est-ce ce pacte républicain qui fait actuellement rage à tous les niveaux de la sphère politique, de la société civile, de la planète des juges et des avocats, du monde médiatique? Ce pacte est en cours d'élaboration en vue d'être soumis à l'approbation du Conseil de l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, et ce, avant la date-butoir du 24 juillet 2011. Il se définit comme suit: «une convention de caractère solennel entre deux ou plusieurs parties qu'il s'agisse de personnes ou d'Etats». Son objectif donc est d'accompagner le processus révolutionnaire par le biais d'un engagement moral agréé et contresigné par toutes les forces de la société civile, les partenaires politiques et des personnalités indépendantes. De caractère moral, il ne peut donc se substituer à la loi fondamentale ni à la Constitution. Il n'a pas d'aspect contraignant mais il se présente comme l'émanation d'une conscience qui veille à réaffirmer les valeurs fondamentales du peuple tunisien, à consacrer les principes républicains et à rassembler toutes les composantes de la société tunisienne autour d'un projet moral rassembleur, fédérateur et mobilisateur pour un projet qui s'inscrit dans le sens de l'Histoire. Il est appelé à définir une charte des droits et des devoirs auquel adhèrent tous les Tunisiens dans le cadre d'une citoyenneté sereinement assumée et librement consentie. Tous ceux qui y souscriront sont invités à en respecter la lettre et l'esprit, et à préserver les acquis de la République.
Le citoyen face à sa conscience Après la charte citoyenne signée dimanche 10 avril par des milliers de citoyens, lors d'une grande manifestation organisée au Palais des Congrès de Tunis, voilà venir le pacte républicain avec pour ambition de constituer un canevas civilisationnel incontournable de l'élan de notre pays vers des lendemains meilleurs. Les valeurs communes qu'il entend sauvegarder et enrichir (telles que la tolérance, la liberté, le Code du statut personnel, la pluralité, le respect de l'Autre, la palette des libertés, etc.) pourront ainsi cimenter les citoyens en vue de constituer un front uni contre les forces rétrogrades qui ont encore la vie dure et qui menacent, publiquement et insidieusement, les acquis et les objectifs de la Révolution. Un historien affirme, à titre d'exemple, qu'il «est inacceptable que les mosquées servent d'espaces politiques». A-t-on vu, dans les grandes démocraties occidentales des citoyens introduire le débat politique au sein de l'enceinte des églises? En mettant le citoyen face à sa conscience, le pacte républicain l'invite à se dresser contre les forces occultes, les mouvements irrationnels, les tendances de l'arbitraire (qu'il viennent de droite ou de gauche), les sirènes du fanatisme. C'est dans cette optique que doit s'opérer la restauration de la personne. Cette personne qui a connu pendant plusieurs décennies la souffrance de la dépersonnalisation, les ravages de l'aliénation, une odieuse deshumanisation. Il s'agit de la plus noble des missions: réorienter le progrès en direction d'un plus juste équilibre de l'être humain. De ce fait, faire du pacte républicain, comme certains le demandent un document contraignant c'est trahir cette belle vocation qui doit lui être assignée. En faire aussi un texte supra-constitutionnel c'est aussi couru le risque de l'arbitraire. La réponse à notre avis a été donnée par un grand juriste tunisien: inscrire ce texte dans le préambule de la nouvelle Constitution. L'importance de ce pacte n'est pas à démontrer. Cela explique le débat auquel il donne actuellement lieu. Il n'a d'ailleurs pas bénéficié de l'unanimité des membres du Conseil de l'Instance dont certains voulaient même qu'il soit discuté après les élections. Le parti Nahdha semble être le parti le plus gêné par cette initiative. Signer ce texte, ce serait s'engager à ne plus remettre en question certains acquis de la femme. Ne pas le signer, ce serait porter atteinte à l'habit démocratique dont ce parti espérait s'en vêtir pour attirer dans son giron des citoyens à la foi modérée, tolérante et hostile à toutes les violences.