Le consensus obtenu par le gouvernement de transition relatif à la fixation de la date du 23 octobre 2011 comme échéance de l'événement le plus attendu, à savoir l'élection de l'Assemblée Constituante, permet de considérer que notre pays est en mesure de réussir ce nouveau départ. Certes, des voix ont réclamé, sur un mode quelquefois mineur, un changement radical de cap sous la forme d'un référendum relatif à un projet de constitution que concocterait une équipe de juristes et de défenseurs des droits de l'Homme. A la suite de quoi on passerait directement aux élections présidentielle et législatives. L'élection de la Constituante sauterait donc et on gagnerait beaucoup de temps, ce qui permettrait le rapide retour de la légalité constitutionnelle, socle de toute édification durable. Mais le vœu des jeunes dès les premiers balbutiements de la Révolution a été pour une Constituante, vœu que les manifestants du 9 avril 1938 avaient émis. Le terrain est donc aujourd'hui propice à la construction de la Révolution et à l'accession de notre pays au rang d'une véritable démocratie. Mais est-ce à dire que le pays est à l'abri des dérives de parcours? Non! D'où la nécessité d'éviter de tomber dans certaines erreurs qui peuvent mettre à bas le travail excellent entrepris par les différentes instances supérieures.
La gestion de la mémoire L'un des pièges qui vient à l'esprit puisqu'on vient d'en subir les méfaits à travers les douloureux incidents de Metlaoui, nous dicte d'y faire en procédant à une véritable et efficace gestion des questions de la mémoire. C'est par un tel travail que l'on peut se prémunir contre les virus du tribalisme, du régionalisme, et donc de la discorde, démons qui, une fois entrés en lice, ne peuvent plus être contenus dans leur néfaste propagation. La tâche des associations est ici incontournable car, pour le citoyen lambda de ces régions, les associations sont les acteurs les moins sujets à suspicion, ne caressant aucun objectif de pouvoir. Evidemment, l'on ne saurait nier l'importance de l'apport des pouvoirs publics, du système éducatif, des hommes de la culture et des arts, etc., mais la confiance est avant tout accordée aux associations dont le rôle grandit au fur et à mesure de la transition. La lutte contre le corporatisme et l'égoïsme partisan s'inscrivent dans la même optique. Cela réduirait considérablement les risques de cycles récurrents de sit-in et de manifestations intempestives, suivies souvent de casses et de gros dégâts. Et il est heureux à ce sujet que le Premier ministre du gouvernement de transition ait adopté le ton de la fermeté. Sur cette lancée, il est impérieux que les maisons de culture et de jeunesse, qui, dit-on, se plaignent de l'absence du public, soit redynamisées pour étayer cette œuvre de salubrité publique. Ces espaces peuvent retrouver leur vocation: stimuler la créativité des jeunes, canaliser leurs imaginations impétueuses, entreprendre le travail rémunérateur des consciences et mériter cette appellation de Révolution du Jasmin en extirpant chez la masse les racines de la violence, du fanatisme et des extrémismes. Bref, faire des maisons de la culture et de jeunes les temples où fermentent les dispositions juvéniles pour le bien et le beau, sachant que ce pays n'est pas noir ou blanc, mais noir et blanc à la fois. Une face où l'humain fleurit, engendrant toutes les solidarités, toutes les fraternités, toutes les convivialités au nom des grandes valeurs qui font honneur à notre espèce dans son secret souhait de dépasser le stade de l'animalité. Et une autre face moins solaire, plutôt ténébreuse et opaque qui peut faire resurgir, à chaque instant, une pente satanique. Une inclination à faire sourdre, en chacun de nous, un volcanisme aux laves ravageuses. Garder toujours en tête cette ambivalence pour que, quand le gouvernail du navire s'emballe, on puisse, à tous les niveaux, et surtout au niveau de la société civile et des formations politiques et syndicales, rectifier le tir sans trop de dégâts. Il n'est pas admissible que les remous assassins qui secouent le bassin minier de Gafsa fassent perdre à la nation un fabuleux pactole quand, au même moment, des êtres humains transformés en tristes hères meurent de tout genre de privations. C'est en effet de cette région calcinée par le soleil en été et engourdie par le frimas en hiver, de cette région oubliée par les nantis du littoral et les caciques de la capitale, qu'est partie, depuis plus de deux ans, les premières étincelles du grand réveil. Alors de grâce, messieurs des partis et des syndicats, gardez-vous de confisquer ce bienfaisant acquis pour on ne sait quels intérêts partisans ou individuels. A l'inégalité entre les régions, répond l'inégalité sociale et notamment au niveau de l'emploi. Que chacun de ceux qui se démènent dans les quelque 90 partis engagés dans la course au pouvoir (car, qu'on le veuille ou non, c'en est bien une) accompagne les slogans qu'il crie à tue-tête se livre à un petit exercice mental: se mettre à la place d'un chômeur, d'un miséreux, d'un va-nu-pied et essayer d'intérioriser la vie qu'il mène. L'empathie jouerait alors à fond à moins que toute souffrance lui est étrangère et alors, là, il n'a plus sa place dans la sphère politique. Il ferait mieux d'aller pêcher ailleurs, dans les sphères où l'argent et le profit ont leurs raisons que la raison ne connait pas. Vivre l'expérience de l'autre, c'est la meilleure introduction à cet esprit de citoyenneté, le meilleur ferment qui soit de la conscience démocratique. D'individu, devenir citoyen, c'est le chemin incontournable pour qu'un peuple se sente une nation et qu'une nation se sente dans la peau de tout le genre humain. C'est mettre la Valeur au centre de la vie collective, c'est restaurer la volonté de vivre pleinement sa vie, afin d'être d'une façon permanente à la hauteur de l'idéal révolutionnaire. C'est cela le véritable acte politique qu'on doit accomplir sous peine de rester captif de la politique politicienne. Et alors, là, la révolution n'aura servi à rien!