L‘idée d'un complot destiné à faire chuter le Gouvernement déjà annoncée à maintes reprises par différents responsables au sein du cabinet provisoire en place, a commencé à se préciser davantage dans le camp nahdhaoui qui distille chaque jour un peu plus d'informations à ce sujet. Toutefois, de nombreux observateurs de la scène politique se posent des questions sur la crédibilité à donner à ce plan ourdi pour renverser le Gouvernement de la Troïka. Cette théorie du complot qui est devenue le cheval de bataille des autorités au pouvoir commence à peser lourdement sur la scène politique nationale. La reprise des mouvements sociaux, les tiraillements au niveau de la Constituante avec le retrait des députés de l'opposition lors de la séance de débats avec le gouvernement et l'absence du premier ministre à cette rencontre avec les élus du peuple, ont constitué des signes tangibles de l'atmosphère de crise qui règne dans le pays. Sur quelle logique se base le camp Ennahdha pour parler de complot ? La sortie médiatique du ministre du Transport Abdelkerim Harouni, dimanche soir 4 mars 2012 sur la chaîne de télévision “Hannibal” lui a permis d'en parler un peu plus sans pour autant donner des preuves concrètes de l'existence de ce complot. M. Harouni a mentionné des preuves matérielles sous forme de documents mais sans donner de plus amples détails sur la nature des documents ni leur contenu. Les parties incriminées sont les mêmes, selon M. Harouni, à savoir, les résidus du régime déchu et les perdants aux élections de la Constituante du 23 octobre 2011 sans les nommer de façon formelle. Des menaces de présenter ces documents à la justice et de démasquer leurs auteurs à l'opinion publique sont différées ultérieurement sous prétexte de préserver la paix sociale selon l'argument de choc avancé par le ministre du Transport. Cette affaire de plan visant à faire chuter le Gouvernement remonte à la visite, au mois de février dernier, du premier ministre Hamadi Jebali en Arabie saoudite au cours de laquelle a été révélée, pour la première, fois l'existence de la théorie du complot qui s'est répandue, par la suite comme une traînée de poudre, principalement parmi les ministres nahdhaouis majoritaires au Gouvernement provisoire. Lotfi Zitoun, Conseiller politique du premier ministre, en fera un fonds de commerce en confirmant l'existence d'un complot pour le renversement du Gouvernement et cela au lendemain de la visite de Hamadi Jebali et du ministre de l'Intérieur Ali Larayedh le 25 février 2012 dans la ville sinistrée de Boussalem dans le Gouvernorat de Jendouba. Les milieux nahdhaouis s'empareront, sur les réseaux sociaux, des événements qui se sont déroulés à Boussalem dans le sillage de la visite du premier ministre, criant au complot. Cette fois-ci, ils vont dénoncer l'implication de l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) qui a été confirmée par M. Hamadi Jebali en personne en l'accusant de connivence avec d'anciens « rcdistes » et des hommes d'affaires de la ville de Sousse. Il leur reproche d'avoir soutenu une manifestation organisée par l'UGTT pour protester contre l'agression dont la centrale syndicale se dit être victime de la part du Mouvement Ennahdha. Les nahdhaouis pointeront aussi du doigt des partis considérés comme grands perdants des dernières élections de la Constituante. Parallèlement à cette théorie du complot contre le Gouvernement, une campagne féroce est menée à l'endroit de la presse et des journalistes qui a atteint son sommet avec la sortie du ministre des Affaires étrangères Rafik Abdesselam qui les a accusés de «transformer le pays en Somalie ». Le premier ministre Hamadi Jebali a été le premier à ouvrir le bal de cette campagne en faisant feu de tout bois contre les médias publics les accusant de ne pas refléter la réalité dans le pays et d'entraver l'action de son cabinet. La dernière sortie médiatique en date de la part du camp nahdhaoui contre la presse remonte à samedi 3 mars 2012 lorsque le leader du Mouvement Rached Ghannouchi a condamné l'attitude des médias leur faisant assumer la responsabilité de faire obstacle à l'action du Gouvernement et d'être partiaux. L'opposition a adopté un profil bas La classe politique a, jusqu'à présent, opté pour garder un profil bas dans cette campagne de relations publiques diligentée par le Gouvernement de transition visant à détourner l'attention de l'opinion publique des vraies préoccupations en faisant avaler la pilule du complot . Pourtant cette attitude ne mettra pas l'opposition à l'abri ni n'épargnera les criques de la Troïka qui ne manquera pas de rejeter son échec sur les partis politiques qui oseront ouvertement se mettre en travers du chemin du Gouvernement. A y voir de près, cette théorie du complot ne tient pas la route en ce sens que d'abord, ce gouvernement est provisoire et logiquement il n'est pas appelé à s'inscrire dans la durée d'où l'absence de nécessité d'œuvrer à le renverser. Ensuite, il faut rappeler que dès le début, le Gouvernement a été vivement contesté et le mois de janvier 2012, le pays a été à un cheveu d'un soulèvement général avec les sit-in et les mouvements sociaux qui se sont multipliés pratiquement sur l'ensemble du pays. En outre, le Gouvernement n'a pas réussi, après environ trois mois de prise de fonction, à rassurer l'opinion publique nationale ni internationale. Aucun résultat ni bilan tangible à l'actif du Gouvernement Même les visites effectuées par le président et le premier ministre à l'étranger n'ont pas permis de mobiliser les fonds nécessaires pour relancer l'économie et financer les projets de développement en instance. Les promesses du Qatar sont restées lettres mortes alors que les échos de l'accueil réservé par les investisseurs saoudiens et les souverains de ce pays à Hamadi Jebali sont encore vivaces dans les esprits des Tunisiens qui les ont ressentis comme autant d'humiliations à leur égard. En fait, l'action du Gouvernement de Jebali n'a eu aucun effet ni emprise sur le terrain et n'a pas permis d'éclaircir l'horizon ni de laisser entrevoir le bout du tunnel pour les Tunisiens en proie, depuis plus d'une année, à une situation de crise qui ne fait que se prolonger. Un prétexte pour masquer les échecs Pour les analystes, cette théorie du complot est une invention de la Troïka pour ne pas reconnaître l'échec du Gouvernement à résoudre les problèmes du pays. Certains vont plus loin et se demandent si les autorités au pouvoir ne vont pas recourir aux méthodes de l'ancien régime en parlant sans cesse de complot et en menaçant de traduire devant la justice leurs prétendus auteurs. Les vrais problèmes des Tunisiens, aujourd'hui, ne sont pas les passes d'armes que s'échangent les partis politiques entre eux ni les discours mais leurs préoccupations résident dans cette crise qui se prolonge à l'infini ainsi que l'effritement de leur pouvoir d'achat avec la flambée des prix et en toile de fond cet avenir incertain que leur renvoie sans cesse cet état de provisoire qui gangrène le pays. Ce qu'il va falloir pour les autorités actuelles, c'est tout mettre en œuvre pour écourter le plus possible cette phase de transition, en rédigeant dans les plus brefs délais une constitution et en agissant en parallèle pour rassurer les citoyens et améliorer leurs conditions de vie.