Qatar compte modifier son système d'esclavage par lequel, depuis des lustres, Doha asservissait les étrangers dans la mesure où le dispositif législatif régissant les expatriés résidents au Qatar, le fameux et non moins scandaleux régime « Kafala », s'appliquait insidieusement, et non moins honteusement, sur les travailleurs étrangers, les ressortissants des pays en développement en particulier, considérés comme des sous-hommes ou des serfs de l'époque moderne, pratiquement en permanent état d'arrestation ou d'emprisonnement. Il y a lieu de souligner que le régime « Kafala » tel que pratiqué sur la force de travail étrangère est une forme détournée de la procédure d'adoption spécifique au droit musulman, basée sur la notion de tutelle sans filiation. Donc, la « Kafala » est expressément citée comme un système apparenté à l'adoption dans la Convention des droits de l'enfant des Nations Unies de 1989, instrument dont l'article 20, aliéna 3, se réfère explicitement au système « Kafala » en énonçant que «Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l'adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d'une certaine continuité dans l'éducation de l'enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique ».n système de cruauté physique, mentale et morale. En effet, le travailleur n'avait pour d'autre choix que de s'assujettir à ce mécanisme réglementaire. Pire encore, il est spolié de sa liberté de mouvement et dépouillé de son pouvoir de négociation. En quelque sorte, l'homme n'est plus qu'une machine ou un outil de travail sans plus. Pour espérer dégoter un boulot dans ces contrées, l'immigrant est tenu d'être parrainé ou sponsorisé par un employeur (entreprise, association, citoyen local) pour pouvoir y entrer et y exercer. Le tuteur en question lui confisque son passeport et lui fournit une carte de travail qui fait fonction de pièce d'identité. Le travailleur n'est pas autorisé à pratiquer aucune activité d'ordre syndical, il lui est interdit de se prévaloir ou défendre ses droits. Par conséquent, la « Kafala » est avant tout un contrat d'usurpation et de servilité, forcément consenti en connaissance de cause. Ainsi, la pauvreté et le chômage deviennent un motif de d'exclusion sociale, d'arbitraire et d'abus. Devant la loi nationale, le travailleur, entièrement sous la coupe de son employeur, est traité d'une manière franchement discriminatoire comparativement à son tuteur. Ce dernier jouit, sans vergogne, de tous les droits et de tous les pouvoirs. Il a pratiquement un quasi droit de vie ou de mort sur son employé. Cédant à virulentes campagnes de contestation et à la pression internationale, notamment depuis l'octroi au Qatar l'organisation de la Coupe du Monde 2022, le lancement de grands chantiers de construction de stades et d'infrastructures pour lesquels une grande masse de main d'œuvre a été mobilisée ainsi que la multiplication des cas bafouant le droit et les conditions humaines de travail, le Qatar a décidé d'amender en profondeur le régime « Kafala » et la législation de travail. Le Conseil des Ministres en a récemment accepté le principe. Un projet de loi est en cours de discussion à cet effet. Reste l'application réelle d'un tel projet, dès lors que le pouvoir qatari n'a pas encore daigné annoncer une échéance de promulgation et de mise en œuvre de la nouvelle loi. Il s'agit là d'une autre paire de manches. Une autre bataille en perspective. La nouvelle législation, qui est censée se substituer au régime « Kafala », de sinistre mémoire, se basera désormais sur les contrats de travail dans le cadre d'une nouvelle loi intitulée « Entrée et séjour des arrivants à Qatar » dont les dispositions portent sur l'ensemble des travailleurs, toutes catégories professionnelles confondues. Le ministère de travail qatari compte contracter un accord de coopération technique avec l'Organisation Mondiale de Travail (OIT) pour que l'agence onusienne accompagne le Qatar dans la mise en œuvre de la nouvelle loi. Aux termes de la loi en question, des amendements, des flexibilités et des garanties ont été introduits en matière d'entrée, de séjour, de contrat de travail, de sanction, de protection salariale, de visa, de logement. Les droits et devoirs des employeurs qataris font également partie de la nouvelle législation. Toutefois, et malgré la satisfaction de la majorité des parties prenantes, notamment les travailleurs, anciens et futurs, une force de résistance a été constatée. En effet, il semble que le milieu d'affaires reste réticent sinon opposé aux nouvelles mesures qui risqueraient, de son avis, de remettre en cause ses intérêts. Position que les autorités compétentes qataries pourraient tenir en ligne de compte dans la formulation définitive de la loi. Par contre, une frange de la société civile internationale reste sceptique, considérant que la nouvelle loi, telle que formulée, est en deçà des attentes et encore loin du niveau de réforme escompté et de la batterie des propositions soumises à ce sujet. En conclusion, qu'il soit sous la pression internationale ou fruit d'une initiative unilatéral consentie par le gouvernement, le pas franchi par le Qatar est à saluer à sa juste valeur. Une grande porte jusqu'ici fermée et verrouillée est désormais entrouverte. Le chemin reste encore long pour assainir définitivement la situation et établir un environnement de travail sain, équitable et prévisible, respectant le droit, la dignité humaine et la justice sociale quelle que soit la nationalité des travailleurs et des demandeurs d'emploi.