La rupture des relations diplomatiques entre l'Arabie Saoudite et l'Iran n'est en fait qu'un acte sans incidence sur les relations houleuses entre les deux pays dont la cassure est consommée depuis belle lurette, essentiellement pour des raisons de leadership régional et confessionnel. Ce n'est en fait qu'une autre page sombre dans un gros livre noir de rivalités, d'intérêts contradictoires et de bruits de bottes. En effet, comment rompre ce qui est déjà délité ?! Le virus de la Grande Discorde n'a jamais quitté le corps arabo-musulman, Riadh et Téhéran n'en continuent pas moins d'en doper la virulence et la résilience, sur fond d'enjeux géopolitiques et de guerres régionales par procuration. La plus grande blessure de l'Islam ne s'est jamais cicatrisée, produit d'une histoire mouvementé où les conflits et les clivages confessionnels et les velléités de leadership ont semé la sédition et précipiter la région dans le chaos. Le bras de fer confessionnel entre Wahhabisme saoudien et chiisme perse a vicié la relation bilatérale et nourri le feu de la bataille d'influence dans la région. Les deux porte-drapeaux, chacun figé dans sa lecture dogmatique et miné par ses ambitions hégémoniques, n'ont cessé de se livrer à une guerre par des pays interposés. Derrière les guerres civiles sévissant en Syrie, en Irak et au Yémen se faufilent des considérations confessionnelles pour l'essentiel. Ces trois pays, outre le Liban, sont dans la droite lignée de l'agenda stratégique aussi bien de l'Iran que de l'Arabie Saoudite. Leur intervention soit par voie directe soit en sous-main a contribué grandement à gangréner ces pays, pris en otage, entre le marteau et l'enclume, entre le sabre sunnite wahhabite et l'épée chiite imamite duodécimain. Face à la montée en puissance de l'Iran, pays érigé en premier adversaire, surtout après la conclusion d'un accord sur sa force nucléaire avec le Groupe G5+1, l'Arabie Saoudite multiplie les initiatives et les démonstrations de force, messages bien musclés à l'adresse de l'Iran : La constitution d'une force militaire arabe commune, l'offensive militaire, à composition sunnite, contre les Houthies chiites du Yémen, la mise en place d'une coalition islamique antiterroriste. Le compromis nucléaire scellé avec l'Iran est resté en travers de la gorge de l'Arabie Saoudite, pour au moins quatre principaux motifs : 1- Déséquilibre des forces militaires. Désormais l'Iran, l'ennemi juré, est en mesure à terme de disposer d'une force de frappe que Riadh ne détient pas. 2- Par cet accord, l'Iran a cassé l'isolement international ainsi que l'embargo et l'ostracisme économiques dont l'Arabie Saoudite a longtemps profité, justement à causede son programme nucléaire, notamment son éventuelle capacité à fabriquer la bombe atomique. 3- l'Arabie Saoudite a longtemps fustigé cet accord, persuadée qu'elle a été trahie, poignardée au dos par ses partenaires historiques, notamment les Etats Unis. 4- La conclusion de cet accord est perçue à Riadh comme un triomphe de l'Iran, donc de sa doctrine chiite, idée que l'Arabie Saoudite ne peut souffrir. 5- Par cet accord, les cartes sont redistribuées, de nouvelles lignes d'équilibre et d'alliance dans la région moyen-orientale se profilent dont l'Arabie Saoudite redoute d'être exclue. En résumé, à travers la rupture des relations diplomatiques, la donne n'en est guère modifiée pour autant. L'exécution des dignitaires saoudiens chiites, aussi condamnable qu'elle soit, n'est qu'un prétexte. La peine capitale étant pratiquée, à grande échelle, de part et d'autre. Les deux pays ne brillent pas par leur respect de la liberté individuelle et collective et de la vie humaine ou par leur modèle démocratique, loin s'en faut.Le mobile est de toute autre nature. Le combat livré est mu, dans une large mesure, par des visées de leadership régional, confessionnel et politique. La guerre jusqu'ici froide et larvée entre Riadh et Téhéran est maintenant ouverte et promise aux pires rebondissements. Toutes les options restent envisageables, notamment l'escalade.