Le sommet arabo-islamo-américain, organisé à Riyad les 20 et 21 mai 2017, en présence d'environ 55 délégations, triées sur le volets, conduites, en majorité, par des Chefs d'Etat, des rois et des princes, n'a pas valu par ses résultats au profit de la communauté arabo-musulmane mais par ses dividendes , en particulier pour les Etats-Unis et l'Arabie Saoudites. Un agenda conjoint occulte. Les autres pays ne sont là qu'en véritables faire-valoir, témoins privilégiés d'un tour de force américano-saoudien. L'objectif annoncé en grandes pompes, à savoir la mise en place d'un front commun contre le terrorisme, n'est qu'un écran de fumée, un prétexte, sinon un cache-misère. Sans dire son nom, la guerre de leadership régional politique et confessionnel, entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, ainsi que le changement de la politique américaine à l'égard de Téhéran sont au cœur de ce Sommet. La région est en double otage, entre le sabre sunnite wahhabite et l'épée chiite imamite duo décimain. D'ailleurs, la Déclaration Finale ayant couronné ce Sommet consacre des pans entiers de son texte au "péril iranien", mettant l'Iran dans l'œil du cyclone et lui imputant, dans une large mesure, la situation de chaos qui sévit dans la région. Pour Washington comme pour Riadh, le Sommet leur a permis d'avancer leurs pions dans l'échiquier régional. Pour Riadh, le Sommet est avant un message d'appui à sa politique extérieure et sa quête de leadership régional. La guerre froide entre Riadh et Téhéran, alimentée de part et d'autre, monte d'un cran. En effet, ces dernières années, notamment depuis la conclusion d'un accord sur nucléaire iranien avec le Groupe G5+1, l'Arabie Saoudite a multiplié les initiatives et les démonstrations de force, sur fond de messages bien musclés à l'adresse de l'Iran : La constitution d'une force militaire arabe commune, l'offensive militaire, à forte densité sunnite, contre les Houthies chiites du Yémen, la mise en place d'une coalition islamique antiterroriste. Ledit Sommet s'inscrit dans la même logique, Téhéran en point de mire. La montée en puissance de l'Iran, après l'accord nucléaire, sur le plan tant politique qu'économique, équivaut à une défaite pour Riadh. D'autant plus que les deux pays mènent, en sous-main et par procuration, un combat d'arrière-garde à travers les guerres civiles mettant à feu et à sang la Syrie, l'Irak et le Yémen Le compromis nucléaire scellé avec l'Iran est resté en travers de la gorge de l'Arabie Saoudite. En effet, Riadh s'en est senti trahi (poignardée au dos par ses partenaires historiques, notamment les Etats Unis), fragilisé militairement (désormais l'Iran, l'ennemi juré, est en mesure à terme de disposer d'une force de frappe que Riadh ne pourra jamais détenir), sanctionné économiquement (l'Iran a cassé l'isolement international ainsi que l'embargo et l'ostracisme économiques dont l'Arabie Saoudite a longtemps profité), isolé géopolitiquement (les cartes sont ainsi redistribuées, de nouvelles lignes d'équilibre et d'alliance dans la région moyen-orientale se profilent dont l'Arabie Saoudite redoute d'être exclue) et désarmé dans sa guerre de leadership confessionnel (La conclusion de cet accord est perçue à Riadh comme un triomphe de l'Iran, donc de sa doctrine chiite, cauchemar de l'Arabie Saoudite). Pour Riadh, le Sommet est de nature à rétablir les équilibres rompus et de repositionner l'Arabie Saoudite comme pilier d'équilibre dans la région et chef de file dans la bataille confessionnelle. Pour Washington, ledit Sommet est d'abord l'occasion d'annoncer sa nouvelle politique dans la région, ensuite, de renforcer la position et le rang de son allié saoudien dans son bras de fer avec l'Iran, en contrepartie d'un contrat d'armement d'une valeur totale de 110 milliards de dollars américains, étalé sur dix ans (le chiffre de 350 milliards de dollars est avancé pour l'ensemble des contrats signés). C'est avant tout un marché juteux, en l'occurrence, le soutien politique contre l'achat d'armes et autres équipements civils. Ce qui constitue pour Donald Trump une autre manière d'agir à contre-pied de la politique de Barack Obama, qui, sous son second mandat, a pratiquement gelé les livraisons d'armes à l'Arabie Saoudite. Confirmant ainsi que toute la stratégie de la nouvelle administration américaine consiste, entre autres, à déconstruire l'héritage Obama. Dans sa Maison Blanche, le chat noir s'en donne à cœur joie et s'en bombe le torse. Est-ce fortuit que Donald Trump, à peine le Sommet achevé, joigne directement Tel Aviv ?! Pourquoi la Déclaration Finale ne pipe pas un orphelin mot sur la cause palestinienne et passe sous silence la politique criminelle d'apartheid, de boycott, de blocus et de colonisation menée depuis des lustres de l'entité sioniste ?! Comment se fait-il que les questions de développement aient été occultées ? La Déclaration Finale n'est rien qu'un catalogue de professions de foi (mauvaise ?) et de bonnes intentions qui n'engagent que ceux qui y croient. De toute évidence, trop peu ! Il est quand même à la fois grotesque et curieux que l'Arabie Saoudite, sombre roitelet, pays sans Etat ni Constitution, dictature protégée pour son pétrole, veut se placer aujourd'hui en première ligne de la lutte contre le terrorisme daechien alors que la monarchie féodale en est la génitrice, la couveuse et la nourricière. A la fois enfant légitime et incestueux, "Daech" est le produit hybride né du croisement entre la doctrine wahhabite et l'impérialisme néo-libéral. Sans l'Arabie Saoudite, à travers sa pieuvre idéologique, et sans les Etats-Unis, à travers sa stratégie de prédation économique, "Daech" n'aurait jamais vu le jour. Riad a défriché, préparé et semé le terrain et Washington a arrosé, mis les engrais et accompagné la croissance de la plante carnivore jusqu'à maturation. Ils n'ont plus aucune maitrise sur la créature maléfique qu'ils ont créée de toutes pièces. Elle s'est retournée contre eux. La bombe qu'ils croyaient manipuler et contrôler a explosé partout, dans tous les bras, y compris les leurs. Derrière "Daech", se faufilent des enjeux idéologiques et des intérêts économiques. Un cocktail explosif entre le dollar et le dogme, un mariage contre-nature donnant naissance à un bâtard, né avec des malformations génétiques et des anomalies mentales. Un monstre !