Le fait que la dictature la plus protégée au monde, à savoir l'Arabie Saoudite, monarchie pourrie jusqu'à la moelle, lance une opération "coup de poing" à grande échelle, contre la corruption, laisse autant dubitatif que perplexe. La célérité, le large coup de filet et le profil des cibles ne sont pas fortuits dans leur timing ni innocents dans leur mobile. Les balles ont été tirées, entre arrestations et gels des avoirs, quelques heures seulement après la mise sur pied, par décret royal, d'une commission ad-hoc, chargée de mener l'enquête, que l'homme fort du régime wahhabite, à savoir le prince héritier et fiston du roi, Mohammed Ben Salman, a établi en un temps record, à la surprise générale dans l'arrière-cour de son palais avec un carré d'hommes de main. La lame de fond a emporté princes, ministres, grandes fortunes, puissants hommes d'affaires, chefs de l'armée et de la sécurité. Tous à la trappe en un clin d'œil. Pourquoi une telle purge ? Et pourquoi maintenant ?! Il n'est pas exclu que le roi Salman compte abdiquer bientôt au profit de son fils. Dans cette perspective, plus ou moins imminente, le prince héritier, le véritable monarque de l'Arabie Saoudite, a agi de la sorte pour éliminer ses adversaires et annoncé la couleur de cette manière profusément musclée pour couper court avec ses prédécesseurs au trône et commencer son règne selon sa propre vision. C'est une démonstration de force, un message d'omnipotence. Le nouveau roi tranche dans le vif et accorde peu d'importance aux relations familiales. Une purge pour l'exemple. Un pari certes audacieux mais non moins risqué compte tenu de nombreux facteurs de résistance dont ci-après les plus importants : * Les grands foyers d'opposition, notamment le noyau dur religieux et ses relais de poids au sein de la société saoudienne, contre tout projet de réformer la société et d'installer un nouveau modèle de gouvernance. En effet, le clergé wahhabite, trop figé dans sa doctrine et soucieux de ses privilèges, ne semble pas être prêt à franchir le pas et à admettre un changement de cap. Même si Le conseil des religieux a soutenu le coup de balai, arguant que : "la lutte contre la corruption était aussi importante que le combat contre le terrorisme", les forces réfractaires, dans les différentes strates de la monarchie, ne se laisseraient pas se faire hacher menu.
* Mohammed Ben Salman n'a pas laissé trainer le mystère sur son projet et son objectif. En effet, quinze jours environ avant le lancement de sa spectaculaire opération "mains blanches", soit le 24 Octobre 2017 exactement, lors d'un forum économique sur l'investissement, tenu à Riadh, il a martelé sa volonté de rompre avec la sombre image de l'Arabie Saoudite, assimilée partout à un pays introverti, radical et wahhabite, et d'en faire une monarchie "modérée, ouverte et tolérante". A la même occasion, et sur la même tribune, il a conclu : " Nous n'allons pas passer trente ans de plus de notre vie à nous accommoder d'idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant". Le message est clair. Le wahhabisme, qui le cœur du système dynastique, est en ligne de mire. Les défenseurs, de tout bord, de la doctrine wahhabite, dont regorge la société saoudienne, dans la famille royale comme dans l'ordre religieux, ne compteraient pas l'entendre de cette oreille.
* Le règlement de compte, sans précédent, mené par le prince héritier, dans une logique aussi bien préventive que répressive, est de nature à rompre un équilibre ancestral, d'une part entre la famille Saoud et l'establishment wahhabite et entre les héritiers et leurs différentes, et parfois non moins conflictuelles, lignées d'affiliation. Cet équilibre basé sur un compromis historique et sur le principe de consensus, ancrés dans la culture politique et religieuse saoudienne, risque d'être cassé et de donner lieu, en conséquence, à une onde de choc que Mohammed Ben Salman ne serait pas en mesure d'éviter ou d'amortir.
* Il est admis que certaines grosses pontes saoudiennes, de la famille royale ou de la sphère politique, ont peu apprécié la guerre menée contre le Yémen et le boycott du Qatar, dont le prince héritier était le premier instigateur. Leur mise à mort, au motif de corruption, est une façon pour Mohammed ben Salman de marquer son territoire et de mieux asseoir son pouvoir et tenir dans sous sa coupe tout le royaume.
En conclusion, Mohamed Ben Salman n'est pas un homme de compromis, le consensus n'est ni dans sa culture ni dans son caractère. Il est beaucoup plus dans la stratégie bulldozer que dans la politique d'étapes. Serait-il un dictateur éclairé ou despote déguisé ?!