TUNIS (Par Ayadi Emir - Rédaction TAP) - Après le 14 janvier, les discussions des Tunisiens ont changé de thématiques. Le sport, qui par le passé, dominait leurs conversations, a désormais cédé la place aux débats politiques. A El-Manar, les habitués d'un café du quartier se livrent quotidiennement à une espèce de maïeutique politique qui se transforme vite en une cacophonie généralisée. Ils soutiennent des positions divergentes nourries tantôt d'une bouffée d'optimisme, tantôt d'un sursaut de pessimisme. C'est un jaillissement spontané d'idées pour extérioriser leurs préoccupations, leurs psychoses collectives et leurs craintes paralysantes quant à l'avenir du pays. Assis autour d'une série de tables collées l'une à l'autre, exhalant des volutes de fumées différemment parfumées de leurs narguilés, un groupe de clients aussi bien hétérogène que disparate se préoccupe de l'avenir du pays, et craint la dérive et la rechute après le vent de liberté et de démocratie qui a soufflé sur la Tunisie. « La Tunisie fonce droit dans le mur », a tempêté Mehdi, 36 ans, embauché comme gérant dans ce café. Cette expression a été souvent reprise depuis le déclenchement de la révolution du 14 janvier faisant allusion à l'impasse dans laquelle se trouve le pays. Vêtu d'un tee-shirt rouge, un pantalon noir, la barbe fournie et soigneusement dessinée, Mehdi a expliqué que « la réussite de la Constituante est tributaire du parti qui va remporter les élections ». « Ennahdha » est le parti le plus crédible, a-t-il râlé haut et fort, estimant que ce parti propose un programme clair et répond aux aspirations des catégories les plus défavorisées. Et cet employé de café d'ajouter : « la réussite de la Constituante dépend aussi de trois facteurs : l'accomplissement par les services de sécurité de la mission qui leur sied, la maturité et la prise de conscience du citoyen quant à la sensibilité de l'étape et le dévouement des membres de l'Assemblée Nationale Constituante ». Pour Sami, 54 ans, homme d'affaires opérant dans le domaine de l'industrie automobile, la réussite des élections de la Constituante est tributaire des alliances qui vont se former au sein de cette Assemblée, expliquant que ces alliances vont montrer la voie à suivre et décider de l'orientation générale du pays. Partagé entre le PDP et le parti « Ettakatol », cet économiste de formation n'a pas manqué d'afficher son affinité politique pour les partis centristes qui, selon lui, « vont proposer un régime politique mixte, favoriser l'ouverture économique et consacrer la libre entreprise ». Derrière ses fines lunettes dorées, le visage soigneusement bronzé, les jambes croisées, il ajoute : « la durée du mandat de la Constituante ne doit pas dépasser un an », estimant indispensable d'organiser un referendum sur l'établissement d'un calendrier pour fixer, à la fois, la durée de la Constituante et les dates des élections présidentielle et législatives. L'organisation de la présidentielle et des législatives dans un délai d'une année est largement suffisant, dans la mesure où toute la logistique nécessaire est disponible après les élections de la Constituante, a-t-il enchaîné. « Les membres de la Constituante doivent se consacrer exclusivement à l'élaboration de la Constitution », a-t-il ajouté, plaidant, à cet égard, en faveur de la « formation d'un gouvernement de technocrates sans appartenance partisane ». Quant à Fathi, 46 ans, coursier dans une société privée, il a déclaré qu'il votera pour « Ennahdha ». « Nous avons essayé un régime soi-disant démocratique sous les règnes Bourguiba et Ben Ali, mais ça n'a rien donné. Pourquoi ne pas essayer avec un régime islamique ? », tenta-t-il de justifier son choix, se déclarant entièrement persuadé que « la réussite de la Constituante dépend de la victoire d'Ennahdha ». « Je préfère un parti islamique » a pour sa part soufflé Rached, 55 ans, bijoutier, qui a souligné l'importance de l'organisation d'un référendum sur la durée du mandat et des prérogatives de la Constituante qui, selon lui, « va tracer la voie à suivre ». Il a n'a pas non plus caché ses craintes des coalitions après les élections qui, a-t-il dit, « risquent d'induire tout le monde à l'erreur et fausser les résultats des élections ». Taoufik, 64 ans ayant vécu 40 ans aux Etats Unis d'Amérique, s'est dit optimiste quant à l'aboutissement de cette phase transitoire. « L'histoire a montré que la Tunisie a toujours réussi à se relever après chaque rude épreuve. Elle est flexible comme la canne de sucre. Elle rebondit après chaque chute », a-t-il expliqué. « La Tunisie manque d'expérience et son sort va se dessiner d'ici 5 ans », a soutenu cet économiste retraité des bourses de valeurs de New York et de Washington, en ôtant ses lunettes. « Je ne suis pas tout à fait convaincu par les partis politiques évoluant sur la scène politique nationale », a-t-il ponctué, expliquant que « le paysage politique en Tunisie n'a jusqu'ici enfanté aucun parti qui répond aux aspirations du peuple ». « De surcroit, le climat politique est dominé par un jeu de surenchères et de tiraillements tous azimuts », a-t-il regretté. Après avoir conclu avec succès une partie de cartes, Mehdi, 27 ans, diplômé en management et 4 années de chômage, s'est déclaré convaincu que la réussite de la Constituante est liée aux formations qui la composeront et du consensus autour du mode de désignation des membres du gouvernement qui va diriger le pays en cette phase transitoire. Casquette noire sur la tête, tee-shirt bleu, bermuda noir et tongs aux pieds, Mehdi s'est dit tiraillé entre les partis « Ettakatol » et « Ennahdha » qui, à ses yeux, sont les plus aptes à diriger le pays et à remédier au phénomène du chômage. Un autre diplômé en informatique toujours au chômage a tenu à donner son avis sur la question. Ayman, 26 ans, a déclaré qu'un flou plane toujours autour des partis. Toutefois, « j'ai un penchant pour le Congrès pour la République (CPR) et le parti « Ettakatol » qui, selon lui, vont rompre définitivement avec l'ancien régime et mettre le pays sur les rails de la démocratie. Si les élections se déroulent sans surprise, la Constituante va emprunter la bonne voie. En plus, les résultats des élections doivent satisfaire les attentes du peuple, toutes catégories confondues. Et Ayman de conclure avec cette ferme conviction que « le rétablissement de la sécurité, les performances du gouvernement et la durée du mandat de la Constituante restent autant de facteurs déterminants à même de garantir la réussite de cette phase délicate de l'histoire de la Tunisie ». Bien que les opinions puissent diverger et que les attentes des uns et des autres soient différentes, elles se rallient toutes autour du consensus tant souhaité de voir la Tunisie traverser sans encombre toutes ces épreuves et autres adaptations pour arriver à bon port.