TUNIS (TAP) - Le déclic du mouvement planétaire appelant au changement, parti d'abord de la Tunisie pour traverser le monde (San Fransisco, Egypte, Espagne…) est produit par des acteurs initiaux qui sont les jeunes aspirant à la dignité, à la liberté et à la lutte contre la corruption, a affirmé le sociologue et philosophe français Edgar Morin. Edgar Morin a donné une intervention spéciale à la clôture, dimanche, à Tunis, des travaux de la 2ème Assemblée annuelle du conseil des citoyens et citoyennes de la Méditerranée (ACM) sur le thème "Crises et changements en Méditerranée : la citoyenneté en mouvement". A 90 ans, le sociologue français continue de réfléchir sur "les maux de l'époque" et de s'intéresser à l'avenir de l'humanité. "Nous assistons à un mouvement mené par les forces libertaires de la jeunesse qui se sont réveillées et ont stimulé tous les âges et les couches de la population qui semblaient être résignées comme le décrivait Etienne de La Boétie au 16ème siècle dans son ouvrage sur le "Discours de la servitude volontaire", a expliqué le sociologue français membre du Conseil consultatif de l'ACM. L'ouvrage de La Boétie tentait "d'analyser les raisons de la soumission d'une population et le rapport domination-servitude". "On vit jusqu'à ce que la stimulation arrive", a avancé Edgard Morin, qui dans une allusion au printemps arabe des révolutions a prédit que "ce printemps peut devenir un automne, puis un hiver pour revenir de nouveau". L'essentiel, a-t-il dit, est d'entretenir la brèche ouverte dans le système et de promouvoir la démocratie qui vit des idées politiques, sans toutefois verser dans l'excès du conflit politique qui peut la détruire. La démocratie a donc besoin de se régénérer, a-t-il plaidé. Le philosophe français a défendu l'idée de symbiose entre les civilisations, soulignant que malgré les différences culturelles, les traditions religieuses et les écarts de la situation économique entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, il faut "engager une pensée commune dans le Mare Nostrum qui puisse inspirer une politique méditerranéenne". Il s'agit, a-t-il conclu, de retrouver quelque chose de commun : une pensée propre à la Méditerranée qui prend ce qu'il y a de positif dans les civilisations : la démocratie, le droit des hommes et des femmes, le développement technique, la résistance à l'hégémonie du calcul, du profit, du quantitatif. Mais aussi une pensée méditerranéenne qui s'attache à la qualité de la vie, aux valeurs d'entraide, de solidarité de famille, de voisinage, d'honneur et de respect des veilles générations. Les thématiques de la 2ème ACM portant sur "les perspectives politiques", "les perspectives économiques", "l'égalité et la participation" et "le dialogue culturel et religieux" ont permis de mettre l'accent, en particulier, sur le rôle de la jeunesse en tant que moteur du changement en Méditerranée et l'importance de valoriser le niveau d'instruction élevé des femmes en intégrant l'approche genre dans les programmes de développement pour l'autonomisation des femmes. La question du dialogue culturel et religieux dans l'espace méditerranéen et son rôle dans la consécration des valeurs de citoyenneté ont été au centre de la rencontre. "La démocratie en tant que chose publique intègre la religion, mais la religion ne peut intégrer la démocratie parce qu'elle relève du domaine privé", a-t-on souligné à ce sujet. Parmi les points forts des changements survenus en Méditerranée on cite notamment l'émergence d'une opinion publique et des forces citoyennes (jeunesse et engagement des femmes). L'accès à l'information, le développement d'une société de l'information, le renforcement de la participation de la société civile à la chose publique, la création d'emplois, en particulier, pour les jeunes et l'intégration du modèle de développement économique dans la transition démocratique, sont autant de défis à relever dans le Mare Nostrum. Les menaces qui peuvent peser sur le développement de l'espace méditerranéen sont le conflit des intérêts, la pratique de la politique des deux poids deux mesures, la récupération des mouvements de protestation par des courants religieux, le recul des libertés, la perte de la dimension sociale et le retour d'un certain conservatisme qui remet en question les acquis.