TUNIS (TAP) - "Le nouveau modèle de développement à mettre en place en Tunisie doit être à la fois social, solidaire, inclusif, ouvert sur le monde, efficace et performant", a indiqué M. Radhi Meddeb, Président-directeur général du groupe COMETE Engineering (bureau d'études pluridisciplinaire). Il s'agit de faire profiter toute la population des fruits de la croissance socio-économique. M. Meddeb a fondé et dirigé "Arab leasing international" (Arabie saoudite) et "Algerian Saudi Leasing " (Luxembourg), il est également président de l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Paris). Au lendemain de la révolution, il a fondé l'association "Action et développement solidaire", qui "entend donner la parole à la société civile". Il vient de publier un ouvrage en arabe et en français, intitulé "Ensemble, construisons la Tunisie de demain, modernité, solidarité et performance". Dans un entretien accordé à la TAP, l'expert a, de prime abord, rappelé que la Tunisie a réussi à réaliser "de la croissance" et non "du développement", seul à même de favoriser la promotion des ressources humaines, en leur garantissant des conditions de vie meilleures. Résultat, "les écarts de richesses se sont creusés, au cours des dix dernières années, alors que la classe moyenne est tirée vers le bas ». Fonder une solidarité multidimensionnelle Dès lors, le nouveau modèle de développement à ériger doit, selon lui, se préoccuper de l'aspect social pour "ne pas laisser une frange de la population au bord de la route". Loin des anciens instruments biaisés, mobilisés par l'ancien régime (26-26, 21-21, BTS…), il a suggéré de concevoir, aujourd'hui, de nouvelles modalités de solidarité, garantissant la prise en charge adéquate de citoyens dans le besoin. La solidarité, pour M. Meddeb, acquiert trois dimensions différentes, à savoir la solidarité sociale, régionale, et finalement intergénérationnelle. S'agissant de la solidarité sociale, il a expliqué qu'il est impératif de "créer des solidarités nouvelles et modernes pour remplacer celles anciennes et traditionnelles", notamment pour la prise en charge de personnes âgées et des enfants, au moment où la famille traditionnelle a éclaté et a été remplacée par la famille mononucléaire. La société n'a pas développé de nouvelles solidarités "Aujourd'hui, en l'absence de contrôle des membres de la famille (grands-parents, oncles…), les enfants sortent dans la rue, après l'école" (…) "Nous ouvrons, à nos enfants, la voie de la délinquance". "Nous devons créer des établissements adaptés pour la garde des enfants, et multiplier les institutions sportives afin qu'ils puissent profiter de leur temps libre", a-t-il estimé. Pour ce qui est de la solidarité régionale, M. Meddeb a préconisé la dissolution des "IMADAS" destinées sous l'ancien régime, au contrôle politique de la population. En première étape, il faut opter pour la déconcentration des régions permettant de "transférer les fonctions actuellement exercées par les ministères et services centraux et gagnant à l'être dans la proximité", en vue de doter immédiatement, les régions de compétences et de leurs affecter les budgets correspondant. Des conseils régionaux élus Il s'agit de créer des collectivités locales légitimement élues, issues d'une fusion entre les délégations et les municipalités. Ces collectivités constitueront les noyaux pour un nouveau découpage territorial du pays sur la base de cinq ou six grandes régions. Lesdites régions, qui doivent retrouver une cohérence économique, humaine, géographique et historique, seront régies par des conseils régionaux élus et bénéficieront d'un pouvoir réel aussi bien financier qu'humain. Pourquoi ne pas créer une à deux villes garnisons dans le pays? a-t-il proposé, ce qui aura un impact sur l'activité économique des régions, comme ça a été le cas pour la ville de Gabès sous le protectorat. En parallèle, il a insisté sur la mise en place d'un réseau d'infrastructure dense, qui regroupera des projets d'infrastructure de base, électrique et téléphonique, favorisant l'impulsion de l'investissement à l'intérieur du pays. Il a fait remarquer à ce propos, que sur un total de 500 km d'autoroutes construits à travers toute la république, pas un seul kilomètre n'a été bâti à l'intérieur du pays. "Il ne suffit pas de concevoir des incitations financières et fiscales au profit des investisseurs pour les encourager à s'implanter dans les régions intérieures. Il faut, aussi, préparer une plateforme industrielle et technologique performante, dont le développement de l'infrastructure se veut un pilier indispensable". Les investissements ne peuvent toutefois être illimités. L'expert a indiqué que " la capacité d'absorption de l'économie nationale ne peut dépasser 40 milliards de dinars sur cinq ans". Pour ce qui est de la solidarité intergénérationnelle, il a plaidé pour la préservation des ressources naturelles du pays pour les prochaines générations, en mentionnant que la Tunisie perd, annuellement, de 25 à 30 mille hectares de terres arables". M. Meddeb a tiré la sonnette d'alarme "un pays est considéré en stress hydrique si la part d'eau par habitant et par an, est en-dessous de 500m3, alors qu'en Tunisie cette part est de 300m3". Pour faire face à cette situation, il a plaidé pour un grand programme de rationalisation de l'irrigation, étant donné que 82 pc des ressources en eau sont destinées à l'agriculture, laquelle utilise des méthodes archaïques d'irrigation. En fait, l'environnement doit, selon lui, constituer une préoccupation quotidienne pour tout un chacun, "Il faut enraciner l'esprit de citoyenneté en matière de préservation de la nature". Dès lors, il a proposé de recourir aussi bien à des actions d'information, de prévention (implantation des poubelles, tri sélectif) qu'à des sanctions. Financement : Développer nos propres ressources Pour le financement de ce modèle de développement, M. Meddeb a affirmé qu'il est préférable de recourir au premier lieu à nos ressources propres, avant de chercher le soutien de pays étrangers. Rappelant que la fraude fiscale atteint 50 pc en Tunisie, il a précisé que l'Etat dispose, aujourd'hui, d'un gisement fiscal non exploité qui peut générer des ressources de l'ordre d'un milliard de dinars. "Il suffit d'opter pour une fiscalité plus juste et de réconcilier le citoyen avec le devoir fiscal, afin de réaliser les objectifs escomptés". "Les taux appliqués à l'impôt sur les revenus des personnes physiques devront être réactualisés annuellement, pour tenir compte de l'inflation et de la dégradation du pouvoir d'achat d'un revenu resté constant. Aujourd'hui, le smicard est soumis à l'impôt, ce qui est inacceptable". M. Meddeb a proposé d'alléger la fiscalité et d'élargir son assiette par la révision des seuils et des taux d'imposition, ainsi que de combattre la fraude, en limitant le nombre des adhérents au régime forfaitaire (65 pc de l'ensemble des contribuables). L'esprit citoyen est la seule garantie à la réforme fiscale, a-t-il affirmé, rappelant que l'Etat est le seul opérateur en Tunisie qui produit des services, sans être payé. A ce niveau, il a suggéré d'envoyer à chaque citoyen, tous les ans, "un avis d'imposition" pré-rempli, accompagné d'une lettre explicative du ministre des Finances, pour rappeler à chacun le devoir national et l'utilisation projetée du produit de l'impôt au service du développement et de la solidarité nationale. Limiter les interventions de la caisse de compensation Le deuxième chantier nécessaire pour renforcer les ressources de financement, consiste selon l'expert tunisien, à limiter les interventions de la Caisse nationale de la compensation (CGC), laquelle a mobilisé, en 2011, un budget de 3,3 milliards de dinars (5 pc du PIB). "Toute la population (riches et pauvres) ne peut pas émarger à cette Caisse de la même manière. Ainsi, il est indispensable d'identifier de nouveaux mécanismes pour faire profiter des catégories bien définies et non d'autres", a-t-il expliqué. Parmi les nouveaux outils proposés par M. Meddeb, la sélection d'un seul produit à subventionner sur toute une gamme, par exemple subventionner seulement le gros pain, une seule catégorie d'huile.. "Il est impératif de contrôler la gestion de la caisse, d'introduire une concurrence chez ses fournisseurs et de mieux cibler les populations défavorisées, en vue de ramener le budget de la caisse à moins d'un milliard de dinars par an". Autres propositions de l'expert, le lancement d'un emprunt national et international destiné aux tunisiens à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Il s'agit d'inviter l'ensemble de la communauté des tunisiens résidant à l'étranger (soit plus de 1 100 mille personnes) à participer à l'emprunt à un taux d'intérêt encourageant (plus élevé que celui proposé par les banques en Europe).