Devenue, malgré elle, le symbole et le porte-voix d'une Tunisie refusant le silence complice, les manigances d'intimidation et les menaces de répression, la veuve de ChokriBelaïd aura à choisir désormais de devenir soit le leader fédérateur des Tunisiens de tous bord, soit le simple successeur symbolique ou effectif d'un président de parti que fut son mari… La Journée Internationale de la femme est peut-être une occasion d'y penser ! Voici déjà presque trois semaines après l'assassinat criminel du chef du parti des patriotes démocrates unifié (Watad) ChokriBelaïd et l'enquête semble ne pas avancer, bien plus le ministère de l'intérieur continue de faire la sourde oreille, alors que le meurtrier, pourtant si bien décrit par des témoins oculaires, court en liberté et menace d'autres leaders. Tout le monde se rappelle le jour du meurtre, l'accusation franche et directe que la veuve de l'opposant ChokriBelaid, BesmaKhalfaouiBelaïd, a adressé au gouvernement en place, accusation atténuée plus tard mais maintenue : «Le gouvernement et le parti Ennahdha sont politiquement responsables du meurtre de mon mari en ayant laissé se développer la violence dans la société tunisienne, en la banalisant même, comme si ce n'était rien du tout ». Jusque-là méconnue, BesmaKhalfaouiBelaïd, originaire du Kef, issue d'un milieu modeste identique à celui de son défunt époux, avocate et mère de 2 petites filles, Nayrouz 8 ans et Nada 5ans, s'est révélée au grand public. Dans l'engouement national qui a hissé le leader, à juste titre, au statut de Martyr de la nation, c'est l'image de BesmaKhalfaouiBelaïd, en véritable symbole de la Révolution tunisienne, qui a parcouru et ébloui le monde entier. On se rappelle tous très bien cette grande dame, au visage pâle, aux yeux gonflés de larmes, aux cheveux blanchis par la douleur et vêtue d'un manteau rose-espoir, mais au poing levé en signe de victoire, descendant de l'ambulance en plein cœur de l'Avenue Habib Bourguiba, alors en effervescence, pour frayer un chemin au milieu des bombes lacrymogènes à cette même ambulance transportant le corps de son époux. Cet acte de bravoure qui restera à jamais gravé dans la mémoire collective des Tunisiens nous rappelle particulièrement ce célèbre tableau d'Eugène Delacroix, la liberté guidant le peuple, un tableau devenu icône de la République triomphante. Présentée depuis comme la veuve stoïque et la « mère courage », son discours aussi bien que son comportement n'ont pas fini d'éblouir la majorité du peuple tunisien. On a peine à croire qu'une femme aux qualités similaires ait pu accepter tout ce temps de vivre dans l'ombre. Quoi qu'il en soit, la date du 06 février, comme l'a soutenu bon nombre de personnalités et leaders politiques, marque déjà un tournant non seulement dans l'histoire de la Tunisie postrévolutionnaire, mais aussi dans l'histoire de la femme tunisienne qui ne cesse de s'identifier désormais à BesmaKhalfaouiBelaïd. Héritière d'une culture mosaïque, descendante de Tahar haddad et fille du Code du Statut Personnel, l'attitude de BesmaKhalfaouiBelaïd, d'abord le jour du crime et puis le jour de l'enterrement, appelant le peuple au calme, a certes choqué quelques esprits conservateurs mais elle a impressionné une écrasante majorité des Tunisiens et des Tunisiennes notamment, et a fini par instaurer un nouveau concept du deuil en Tunisie, totalement en rupture avec un certain conformisme régnant, car, contre toute attente, des milliers de femmes, tête nue ou voilées, ont franchi avec elle les portes du cimetière d'Eljalez pour rendre un dernier hommage au leader. Si quelques jours après l'assassinat de ChokriBelaïd, plusieurs proches ont eu l'impression que le leader semblait pressé pour unir les deux fronts de son parti, pour rassembler un nombre important de partis politiques sous l'égide du front populaire, pour préparer enfin un congrès contre la violence ouvert aux partis politiques et à la société civile, c'est à BesmaKhalfaouiBelaïd désormais de continuer le combat de la liberté. Devenue, malgré elle, le symbole et le porte-voix d'une Tunisie refusant le silence complice, les manigances d'intimidation et les menaces de répression, la veuve de ChokriBelaïd aura à choisir désormais de devenir soit le leader fédérateur des Tunisiens de tous bord, soit le simple successeur symbolique ou effectif d'un président de parti que fut ChokriBelaïd. Tout dépendra d'elle en effet. Mais avec la visite rendue récemment à la veuve du policier Lotfi Ezzar, tué par une pierre lors des affrontements qui ont suivi le meurtre de ChokriBelaïd, et au-delà d'un acte spontané de solidarité dans la douleur, BesmaKhalfaouiBelaid semble déjà endosser la robe de ChokriBelaïd en envoyant un message politique assez fort à l'adresse du gouvernement qui a maintes fois failli à son devoir envers les citoyens. Certes, le chemin semble semé d'embuches car les voix qui se sont empressées à vouloir ternir l'image du défunt avant même qu'il ne soit inhumé et les personnes qui ont déchiré ses photos lors de la manifestation pro-Ennahdha du 16 février, en plus de ces inconnus qui ont dernièrement vandalisé la statue offerte par les artistes en hommage au martyr, tous ces malfrats continuent de sévir au vu et au su de tout le monde. Néanmoins, cet acharnement à vouloir effacer coûte que coûte toute trace du martyr en dit long sur le rôle qu'a joué ChokriBelaïd en tant qu'adversaire politique, qui, vivant ou mort, continue d'effrayer les esprits obscurs. Paradoxalement, en mourant, ChokriBelaïd a non seulement révélé une militante acharnée, mais tel le phénix, en renaissant de ses cendres, il a insufflé le jour même de sa mort un peu de son âme fière et libre dans chaque tunisien et tunisienne qui sauront certainement étouffer ces voix de l'obscurantisme et envisager un avenir meilleur pour la Tunisie.