Les réactions de masse qui ont eu lieu partout dans le pays ont envoyé un message fort aux hordes fanatiques et aux lâches commanditaires du meurtre : l'usage de la violence dénote d'un déficit intellectuel… Le million et cinq cent mille Tunisiens qui sont sortis vendredi 8 février ont montré leur détermination à vaincre la peur et à ne pas abdiquer devant la violence. Ils ont écrit sur une nouvelle page de l'histoire de la Tunisie. Depuis un certain temps, certaines fractions politiques cultivent, derrière la bannière de la protection de la Révolution, l'exclusion des adversaires politiques et créent une tension extrême dans le paysage politique. Elles mettent ainsi leurs intérêts partisans avant celui de la Patrie. Petit à petit, la situation commence à dégénérer et la peur de l'Autre commence à s'installer. Et les Tunisiens assistent, mélancoliques et inquiets, à une montée d'une violence méthodique dirigée contre des parties politiques qui n'appartiennent pas à la Troïka au pouvoir et menée par ce qu'on appelle pompeusement «Ligues de protection de la révolution». Le 18 octobre 2012, 4 décembre 2012 et le 6 février 2013 constituent des dates marquantes de l'évolution de cette violence qui prend de plus en plus une coloration politique. Le 18 octobre 2012 à Tataouine, Lotfi Naguedh, membre de Nida Tounes, est mort suite à un lynchage. C'est «le prix du sang» pour la défense de la liberté. C'est le premier assassinat politique depuis la Révolution de 14 janvier 2011. Ici et là, ces mêmes «Ligues de protection de la révolution» continuent à transgresser les lois de l'Etat en orchestrant des heurts et des attaques contre des figures intellectuelles, des partis politiques ou leurs locaux. Le 4 décembre 2012, de violentes attaques ont eu pour cible le siège de la centrale syndicale à la place Mohamed Ali à Tunis. Par lâcheté, par opportunisme ou par faux calcul politicien, certaines parties politiques ont même refusé de dénoncer dans des termes clairs les commanditaires politiques ou idéologiques qui sont derrière cette violence inadmissible, menaçant de conduire la société vers le chaos et compromettant toute possibilité de concorde nationale. Pire, le communiqué publié à l'issue de la dernière réunion d'un parti majoritaire au pouvoir «réclame la libération des meurtriers» du 18 octobre. Le 6 février 2013, Chokri Belaïd, figure emblématique du mouvement progressiste puisqu'il est secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, allié au Front populaire, a été lâchement assassiné. Quelle que soit la partie commanditaire, ce meurtre sauvage a été commis pour le bénéfice d'une idéologie fascisante qui commence à s'en prendre à tous ceux qui pensent librement, signifient leur désaccord et expriment une réprobation totale de l'action engagée au nom d'une telle idéologie. Crime politique odieux et lâche qui installe le pays dans un climat d'inquiétude et de peur. Crime politique qui constitue un tournant dans l'histoire du pays. Parce que le calcul des hordes fanatiques et de ceux qui veulent pousser le pays vers la spirale de la violence et de la contre-violence est tombé à l'eau. Le 8 février a marqué le début du Sursaut national de la grande majorité des Tunisiens qui ont dit unanimement : non, la violence politique ne passera pas en Tunisie et la Tunisie ne basculera pas dans le chaos. Les femmes, les jeunes, les créateurs, les intellectuels, les membres de la société civile et les politiques qui ont pris part aux funérailles du martyr Chokri Belaid ont montré que les Tunisiens rejettent avec détermination la violence politique. Les réactions de masse qui ont eu lieu partout dans le pays ont envoyé un message fort aux hordes fanatiques et aux lâches commanditaires du meurtre : l'usage de la violence dénote d'un déficit intellectuel. Agir pour montrer ses biceps ou pour liquider physiquement celui qui ose développer une analyse concrète de la situation concrète en dehors du moule du politiquement correct n'a pas d'avenir en Tunisie, pays trois fois millénaire, richissime de son héritage culturel pluriel et ouvert sur le monde. Et surtout les Tunisiens ont montré ce jour-là que la violence sauvage n'est pas dans les gênes du Tunisien connu pour sa modération et son refus des extrémismes. Le propre du génie tunisien, c'est que les hommes, les femmes, les jeunes se sont mobilisés de manière positive et sage pour exprimer leur colère contre la violence barbare et pour dénoncer la violence comme figure du mal absolu puisqu'elle est génératrice de tous les maux. De ce fait, le million et cinq cent mille Tunisiens qui sont sortis vendredi 8 février ont montré leur détermination à vaincre la peur et à ne pas abdiquer devant la violence. Ils ont écrit sur une nouvelle page de l'histoire de la Tunisie. Les deux maîtres-mots : l'intolérance et la stupidité d'hommes aveuglés par une soif inextinguible de pouvoir, étanchée dans le sang d'innocentes victimes et dans les larmes d'un peuple, ne passeront plus en Tunisie. Et les menaces de mort ne peuvent pas détourner les Tunisiens du chemin de la pensée libre et de l'œuvre de reconstruction nationale. Chaque Tunisien reprend à sa façon les mots simples du grand Marcel Khalifa : «Je t'ai choisi, mon pays… » Il va falloir qu'on s'attache à valider ce choix pour reconstruire ensemble la règle du jeu démocratique et faire signifier qu'à l'égard de la violence politique, on ne sera ni dans le laxisme ni dans la peur.