« Il faut toujours en revenir aux sources (usûl) et s'en remettre à soi-même. Un esprit clair, et un bon sens bien droit doivent distinguer, naturellement, entre le possible et l'impossible ». Ibn Khaldun, Discours sur l'Histoire universelle – Al-muqaddima Le cataclysme égyptien a fait perdre les pédales à nos islamistes locaux. Il nous a permis également de réaliser que, pour ces derniers, le pouvoir est une question de vie ou de mort. Les Tunisiens, et les jeunes d'entre eux en particulier, ces rêveurs invétérés, ont été avertis de la manière la plus éloquente qui soit : nous sommes prêts à tuer, laissent entendre les hommes qui craignent Dieu et à mourir en martyrs pour protéger la révolution ou, ce qui revient exactement au même, le pouvoir. Mieux encore, il semble même que la mobilisation générale ait été ordonnée et que les troupes de moudjahiddines sont d'ores et déjà sur le pied de guerre. Ce qu'il y a d'extraordinaire en tout cela, c'est que le pouvoir en place, dont les velléités despotiques sont plus qu'évidentes, se soit approprié, en un temps record, la langue de bois et les réflexes de la dictature que les jeunes rêveurs ont fait chuter un certain 14 janvier 2011. Aux abois, refusant d'admettre l'évidence, le gourou de la secte des islamistes tunisiens, l'ultra-pieux R. Gannouchi, se défaisant enfin de son masque, reprend à son compte, sans se soucier des droits d'auteur, les clichés de ses prédécesseurs déchus, dont un au moins est mort, et s'adresse aux jeunes tunisiens, en ces termes : « Les jeunes sont en train de rêver. Ils doivent s'épargner les efforts et ne pas être influencés par l'Egypte ». Voilà, le ton est donné. La horde des fidèles n'a pas tardé de réagir. Touchez pas à notre trône, vous le regretterez ! voilà ce qu'on retient des flots de déclarations que les différentes composantes de la prétendue Troïka (qui s'est résorbée finalement en un duo) au pouvoir. Mieux encore, les soldats de la révolution ont été plus explicites : Si vous touchez à notre trône, nous vous refroidissons. Et il ne s'agit pas là d'une métaphore. Les Tunisiens devraient prendre cette mise en garde pour ce qu'elle est vraiment, autrement dit pour une déclaration de guerre en bonne et due forme. Les arguments importe peu. Dans l'état actuel des choses, devant le danger imminent qui menace la révolution (entendre le trône), les islamistes n'ont plus besoin de porter des gants et de recourir à cette rhétorique de la duplicité qu'il manipule si bien et qui, semble-t-il, aurait convaincu tout le monde (exception faite de leurs administrés), et leurs alliés occidentaux en particulier, qu'ils ont la fibre naturellement démocratique. Dans le contexte actuel, l'argumentaire islamiste se résume en un mot, et un seul : la légitimité. En tout cas, ce mot magique résumerait parfaitement la situation : Il y aurait d'un côté les ennemis de la légitimité, les putschistes laïcs, anti-démocratiques par nature. Et de l'autre côté, il y aurait les instances islamistes gouvernantes, composées de démocrates convaincues. Entre les deux, il y a (c'est là un fait indéniable, d'où l'abandon du conditionnel), les Ligues de la Protection de la Révolution, anges bénévoles qui, par simple patriotisme, se sont mobilisées pour barrer la route à la contre-révolution. Le plus curieux, c'est que ces dernières ne se soient pas donné la peine de prendre directement la parole. C'est quelqu'un d'autre, un certain Dr Mourad Yaâcoubi, un parfait inconnu pour le commun des Tunisiens, qui a parlé à le premier, vraisemblablement pour leur dicter ce qu'elles devraient annoncer aux Tunisiens. Voilà ce qu'il a dit en substance : « Ce qui s'est passé en Egypte ne se produira pas en Tunisie, parce qu'il y a, en Tunisie, les Ligues de protection de la révolution, qui sont capables de faire face à la contre-révolution et à la faire tomber ». Voilà, le casting est fait, il ne reste plus qu'à tourner, autrement dit à casser du méchant, du mécréant ou du contre-révolutionnaire. Ces trois termes sont des parfaits synonymes. Pour le démontrer, le porte-parole autoproclamé des LPR ne s'embarrasse pas de vaines figures de style. Ecoutez-le : « Les laïques sont des putschistes et ne croient pas à la démocratie, et les islamistes, en Tunisie et en Egypte, ont appris que la démocratie est un grand mensonge ». Les laïcs, et cela tombe sous le sens, sont des bandits des grands chemins contre lesquels il faut user des grands moyens. Dr Yaâcoubi, que la santé de la révolution inquiète au plus haut point, se voulant rassurant pour les citoyens tunisiens, nécessairement islamistes, clôture son discours enthousiaste par ce cri de guerre : « Qu'ils essaient et ils verront la réponse ! » La formule est on ne peut plus éloquente, surtout qu'elle n'est pas sans nous rappeler sa fameuse consœur, prononcée, il n'y a pas très longtemps, par le dictateur déchu. Dans les deux cas, c'est de fermeté qu'il s'agit, même si, sur le fond, la célèbre « avec toute la fermeté nécessaire » de feu Ben Ali a, sur le chef-d'œuvre de cet obscur Dr Yaâcoubi, l'avantage d'être plus discrète. Le premier agit en honnête dictateur, le second, lui, agit en vulgaire milicien ! Au fait, le rôle de cet individu, dont les propos engagent semble-t-il l'Etat Tunisien, aurait été de signaler aux LPR, prétendument autonomes, qu'elles sont autorisées à accomplir leur devoir, qui consiste très précisément dans la nécessité de défendre la révolution des islamistes (et non des Tunisiens) contre les laïcs. Il s'agit là rien de moins que d'un appel à la guerre sainte, au jihad dont – quel hasard ! – le fils du premier ministre islamiste se fera le chantre. En effet, le dénommé Hichem Laarayedh, se démarquant de la réserve paternelle, réagit à la destitution du président égyptien de manière tout à fait originale : « Le prophète est notre exemple, dit-il, le Coran est notre constitution, le Djihad est notre voie, et la mort pour Dieu est la plus noble de nos aspirations. Ainsi nous étions, nous sommes, et nous demeurons ». Qu'aurait dit monsieur Hichem Laarayedh s'il s'était agi de la destitution de son propre père ?! R. Gannouchi, Ali Laarayedh, et bien d'autres dignitaires de la secte d'Ennahdha, pastichant Moubarak et Guaddafi, s'obstinent à répéter que la Tunisie n'est pas l'Egypte, signifiant par là qu'ils sont à l'abri du cataclysme qui a balayé les Frères musulmans d'Egypte. Le président de la secte s'est employé à démontrer l'impossibilité de ce scénario à renfort d'arguments à base de légitimité – laquelle justement ? – de consensus et de partage du pouvoir. En somme, R. Gannouchi s'enferre dans les sempiternels lieux communs des islamistes qui donnent, chaque jour, la preuve qu'ils sont bien en deçà de la pensée d'Ibn Khaldoun parce qu'ils sont incapables de distinguer entre le possible et l'impossible, c'est-à-dire entre le septième et le dix-neuvième siècles (dont rêve sa sainteté R. Gannouchi) et le vingt-et-unième siècle, l'unique référence d'une jeunesse tunisienne déterminée à parfaire l'itinéraire révolutionnaire, amorcé en janvier 2011. Au coup d'éclat de monsieur Hichem Laarayedh, que personne ne prendrait au sérieux, succède celui des anges-gardiens de la révolution, émoustillés par les propos de Dr Yaâcoubi. Les anges, de loin plus coriaces que les fils à papa, ne mâchent pas leurs mots. Sans détours, ils déclarent solennellement (comme toujours), avec l'arrogance des gens droits, forts d'une légitimité électorale sans faille (caduque depuis le 22 octobre 2012), qu'ils « ne vont pas se taire mais défendront à tout prix la révolution et s'attaqueront à ses ennemis». Tunisiens, vous êtes prévenus. Terrez-vous dans vos foyers et laissez régner les bienheureux qui œuvrent pour votre bonheur à tous. Les jeunes en particulier doivent se rappeler que l'ère des révolutions est révolue et admettre par conséquent que l'accession au pouvoir des hommes qui craignent Dieu marque la fin de l'histoire. Mieux encore, ils doivent se persuader que l'histoire est une illusion. Le Hizbollah Ennahdha s'est fait un devoir de le démontrer à tous les rêveurs qui continuent de se bercer d'illusions. La Tunisie sera l'exception à la règle, autrement dit le Cuba du bloc islamiste déchu ! R. Gannouchi et sa clique (dont ces pitoyables clowns qui se disent toujours laïcs) sont déterminés à défendre un trône qui leur a été généreusement octroyé par le ciel et non par les hommes. Voilà pourquoi, les bénéficiaires de la bénédiction céleste n'ont de compte à rendre à personne. Tunisiens, n'oubliez pas que vous vivez, depuis le 32 octobre 2012, dans une république de droit divin.