Mon Ragotin d'ami est venu ce matin tout rempli d'un dépit amer dont il n'a pu réduire l'aigreur que par son irréductible sarcasme et par le fouet amusé de son ironie acerbe : -- tu sais, me dit-il, avant même de se souvenir que la politesse et les bonnes manières exigent qu'il commence par me dire « bonjour », ça y est le match va commencer ! -- Quel match, répondis-je étonné, depuis que le Maroc nous a éliminés sur le terrain de foot aussi, après le terrain de l'économie, on n'a de match que l'illusion d'un combat de coqs entre nos poules politiques… -- Voilà ! Tu y es. Mais cette fois, ce n'est pas un affrontement direct entre partis politiques, c'est par hommes de mains interposés. -- Comment ça ? -- Ne fais pas le candide ! Tu vois, à peine convenablement engagé le combat pour la dissolution des Ligues de Protection de la Révolution (LPR), que nos génies politiques se sont essoré les méninges pour nous trouver l'idée ingénieuse de la formation des « comités de protection du citoyen et de la citoyenneté ». A moins une, ils auraient trouvé la dénomination qui aurait les mêmes initiales : « Ligues de Protection du Peuple » (LPR-bis). Tu vois, de cette manière, on va se retrouver avec des jeunes à se casser la figure réciproquement, au point de se casser le coup d'un côté comme de l'autre, pour donner prétexte à notre médiocrité politique de se complaire et de s'épanouir dans la violence, la cacophonie et l'anarchie. -- Mais pourquoi le prends-tu ainsi ? N'est-ce pas un moyen comme un autre de faire valoir un équilibre des forces pour dissuader les vigiles d'Ennahdha et du CPR et réduire leur arrogance sanguinaire ? -- Alors, toi aussi tu deviens du genre à vouloir faire jouer un match à enjeu crucial entre l'espérance et le club africain, ou l'Etoile du Sahel et l'USMonastir sans arbitre ni service d'ordre ? Alors tu es fou à lier, toi aussi ! Les LPR étaient des structures contre l'Etat, et voilà que maintenant on va se mettre à deux pour détruire l'Etat, c'est plus facile et ça semble convenir à tout le monde. Tant pis alors, je ne vais pas me mettre tout seul à naviguer contre le vent ; je vais prendre une halte et observer le spectacle de la tauromachie qui s'annonce, tout en grignotant des « glibettes » (grains de tournesol) et des pois chiches grillés (troqués contre le cerveau de la collectivité), en rêvant que je suis à Carthage en train de trôner sur les anges du ciel, et en ruminant entre les lèvres : « Que Dieu te vienne en aide, ma chère Tunisie ! » J'ai dû sûrement le contrarier encore plus, mon Ragotin, puisqu'il n'a même pas attendu l'express serré qu'il avait commandé : il a laissé nonchalamment un dinar sur la table et il est parti dans un silence obscur qui résonnait comme une tempête intérieure.