Parmi les rapprochements faciles et récurrents pour railler le projet de loi sur l'immunisation de la révolution, on relève ce recours aux métaphores bovines et chevalines : « thawra » en référence à thawr (taureau) et « tahçin » en référence à « houçan » (cheval). Avant-hier, à l'Assemblée Nationale Constituante et lors de la discussion du projet de loi sur l'immunisation de la révolution, Brahim Qassas y est allé lui aussi de son jeu de mots en ajoutant un renvoi imagé aux mulets (« tabghil ethawra », a-t-il ironisé). Il est vrai que la séance de jeudi dernier avait tout d'une opération de rumination tant elle donna lieu à des discours déjà entendus, ressassés là-bas au siège de l'A.N.C. ou ailleurs, entendez un peu partout. Qu'est-ce que c'était répétitif ! Et puis que de récitations ce jour-là : nous avions l'impression, nous autres téléspectateurs, de voir des écoliers régurgiter de mémoire ce qu'ils avaient déjà appris par cœur à la maison. En fait, nos constituants n'avaient pas le choix : comment être original en parlant d'un sujet rabâché jusqu'à l'usure depuis plus de deux ans. Seuls les élèves surdoués ont peut-être des chances de réussir une telle épreuve. Or, nous ne sommes pas sûrs d'en avoir écouté quelques uns avant-hier. Pédagogiquement parlant, l'exercice a, paraît-il, des vertus indéniables sur le ruminant et sur celui qui se voit obligé d'écouter le discours répétitif de celui-ci. On finit en effet par dire et redire des dizaines ou des centaines de fois les mêmes formules jusqu'à ce que celles-ci n'aient plus de sens, même pour celui qui les emploie. Quant au destinataire des propos ruminés, qui ne s'en lasse pas, il risque de prendre ces discours pour des versets sacrés à apprendre sans réflexion ni discussion comme au kutteb. Nous ne distinguons pas ici entre les discours des défenseurs du projet et ceux des adversaires de « l'immunisation politique », car dans les deux camps on se répète à l'envi ; on échange les mêmes invectives, on cite et récite les mêmes hadiths et les mêmes passages du Coran, et on commet quasiment les mêmes erreurs en prenant appui sur les dits du Prophète ou sur le Verbe de Dieu. Mais la rumination ne s'arrête pas à la fin des séances programmées à l'A.N.C. : non ! Elle continue sur les ondes de la radio et devant les caméras des chaînes de télévision. Les politiques invités ici et là - le pire c'est que le plus souvent il s'agit des mêmes têtes- (ce qui constitue une autre forme de rumination politico médiatique), nous serinent les mêmes phrases, les mêmes analyses, chacun selon le camp où il se range. Nos soirées en famille devant le petit écran deviennent ainsi des séances de rumination collective. Lorsqu'on écoute la radio au volant de sa voiture, on rumine avec les ruminants de la politique, du sport, de la culture, de la prédication etc. Voilà atteint un des objectifs de la révolution : former (ou formater si vous voulez) cet immense « troupeau » de 11 millions de ruminants ! Fixations mystérieuses Nous comprenons dès lors pourquoi Mme Samia Abbou mâchait du chewing-gum pendant que la séance sur l'immunisation de la révolution se poursuivait sous la coupole de l'A.N.C (les images de la Nationale 2 font foi). D'abord, certaines études scientifiques sérieuses soutiennent que cette pâte aromatisée ne rafraîchit pas seulement l'haleine exécrable, mais aide à la digestion. Or pour digérer autant de discours redondants et rébarbatifs, il faut bien s'approvisionner en produits digestifs de tous genres. Bon ; le chewing-gum fait l'affaire de Mme Abbou, pour d'autres, les boissons gazeuses sont plus efficaces, sinon ils recommandent d'essayer les allers et retours entre les rangées de l'hémicycle ou bien le passage d'une coalition politique à l'autre. Certaines constituantes ne trouvent pas mieux que de s'amuser entre elles ou de rire des interventions des autres députés : il paraît en effet que les rigolades d'après repas sont excellentes pour la digestion. Pour en revenir au chewing-gum, nous aimerions vous renvoyer cher lecteur au sens figuré de « loubana » chez nous ! En effet, ce synonyme de pâte à mâcher s'emploie aussi pour désigner le rabâchage du même discours. Le souvenir de notre collègue Om Zied revient à l'instant en évoquant sa « loubana » préférée qui consiste à médire de Béji Caïed Essebsi ! Tout récemment, elle a trouvé le moyen, en parlant de certains journalistes fanatiques du Général Rachid Ammar, de les comparer aux inconditionnels de Bajbouj. Mais pourquoi cette fixation sur Si Béji ? Qu'a-t-il fait à notre chère Naziha pour qu'elle le lamine systématiquement chaque fois que l'occasion lui en est offerte. Nous ignorons la réponse et attendons de l'obtenir d'Om Zied ou de Bajbouj. L'ennui, cependant, c'est que ce dernier ne fait aucunement cure des griffures de sa détractrice. Et c'est dommage, ça nous aurait peut-être aidé à comprendre (à digérer) les raisons de cette mystérieuse inimitié entretenue par la très chère Naziha ! Une « loubana » pour chaque bouche Mais Bajbouj en a vu d'autres : aujourd'hui, dans les rangs d'Ennahdha, du C.P.R. et de quelques partis microscopiques, médire de Si Béji est une manie qui frise l'obsession mentale, pour un peu cela deviendrait un sport national susceptible de nous rapporter les meilleures consécrations internationales. N'est désormais pas digne du statut de « révolutionnaire » celui qui ne brocarde pas le fondateur de Nida Tounès. On a même créé les « ligues de protection de la révolution » pour enseigner les méthodes de lynchage anti sebsiennes. La « loubana » fait fureur depuis que Béji Caïed Essebsi est entré dans l'Opposition. Remarquez que même au sein de celle-ci, on a longtemps savouré et l'on savoure encore (un peu moins il est vrai) ce chewing-gum pourtant très amer et à l'origine de nouveaux types de caries dentaires ! La mode est donc lancée : chacun a sa « loubana » : qui le fantôme du RCD dissous, qui Nida Tounès et les Azlem, qui les espions de la Mossad, qui l'UGTT, qui Bourguiba et son Code du Statut Personnel, qui les orphelins de la France et ainsi de suite jusqu'à l'infini. Le Front Populaire sera bientôt dans « toutes les bouches » et fera donc l'objet de toutes les ruminations troïkistes. Nous avons lu quelque part que, chez les bovins, la rumination dure de 8 à 12 heures par jour. Chez nos politiques, ça dure bien plus longtemps ; avec pourtant cette différence fondamentale : alors que les vaches ont 4 estomacs, les humains n'en ont qu'un seul. Bénite soit notre « thawra » !