« La folie humaine est souvent féline et rusée. Quand on la croit partie, elle n'est peut-être seulement que métamorphosée en une forme plus subtile ». Herman Melville, Moby Dick Les « élus » de l'ANC s'étonnent – ou feignent de le faire – que leurs électeurs ne se reconnaissent plus en eux. Tahar H'mila s'en est formalisé à un point tel qu'il a poussé l'indélicatesse jusqu'à priver le peuple du respect dont est digne seulement, selon lui, celui qui prodigue à ses « représentants légitimes » l'estime qui leur revient de droit. Le digne « député » semble avoir oublié que, en dehors du mépris, les peuples ne doivent rien à leurs usurpateurs, surtout quand ces derniers s'entêtent à nier l'évidence en persévérant dans leur aveuglement. Il est un fait que le paysage de l'ANC n'est plus le même. Sa configuration première, celle du 23 octobre 2011, a si radicalement changé qu'il est judicieux de parler, à ce propos, d'une véritable métamorphose. Voilà pourquoi Tahar H'mila devrait faire l'effort de réaliser qu'il n'est plus le même aux yeux de ceux qui, un certain 23 octobre, l'auraient encensé suffisamment pour qu'il puisse occuper un siège douillet sous la voûte de l'hémicycle et, depuis, se la couler douce. Le digne vieillard aurait-il oublié qu'il a changé d'étendard en abandonnant l'insigne du Congrès pour la république pour celui, indéfini et hypothétique, d'Al-iqla' ?! Tous les « élus » qui se trouvent dans le cas de l'ex-congressiste, leur respectable aîné, devraient faire l'effort de se rappeler qu'ils sont les fruits étranges de ces curieuses cellules scissipares que sont le Congrès pour la république, Al-aridha Châabia, Attakattol et Al-jomhouri. Ces entités volages ont donné naissance à des clones, autrement dit à d'autres cellules – leurs filles en somme – censées être différentes d'elles, mais qui, dans les faits, se sont avérées être en tout identiques à leurs génitrices. Il s'en est suivi que le nombre des cellules mères, au sein de l'ANC, sous l'effet d'une dévorante boulimie, n'a pas cessé de proliférer, dans une valse étourdissante, une sorte de jeu de masques fascinant dans le cadre duquel les filles rivalisent d'enthousiasme et de surenchère avec leurs mères respectives. Ce spectacle hallucinant a tourné au cauchemar suite à l'opération de phagocytage que les cellules mères ont subi au contact de leur alliée majoritaire, la prépondérante Ennahdha. Quand le Congrès et le Forum se placent devant le miroir, pour y apprécier leur irrésistible ascension dans l'estime de la rue, le « peuple », pour le compte duquel ils effectuent ce troublant strip-tease, est surpris de voir s'y refléter le profil, imposant et rébarbatif, de la secte de Rached Gannouchi, dans la peau du monstre que le parti islamiste et ses satellites ont convenu d'appeler, histoire d'amuser la galerie, Troïka ! Le pauvre « peuple », sollicité par tant de mystérieuses entités, a fini par perdre son arabe. Si ce jeu macabre continue encore – et il n'y a rien, si l'on tient compte des dernières tribulations de Mustapha Ben Jaâfar, qui empêche que la mascarade se poursuive jusqu'à nouvel ordre – le « peuple » finirait par perdre le nord ! Pour les électeurs du Congrès pour la république, Wafa, Al-iqlâ' et Attayyar sont des parfaits inconnus. Il en est de même pour tous les clones qui désolent aujourd'hui l'ANC et s'y démènent, à l'instar d'un Ayyadi, d'un Gassas ou d'une Abbou, pour s'offrir une place en plein soleil. Pour ce faire, on ne recule devant rien, l'extravagance et le ridicule compris. On ne sait pas au juste si ces clones ont leurs programmes spécifiques sur la base desquels ils se seraient séparés de leurs géniteurs, ou si la scission s'est faite sur la base de différends de leadership. Dans le cas, très significatif, du Congrès pour la république, où la symbiose est parfaite entre la cellule mère et ses nombreuses dérivées, la scission semble être la conséquence fatale d'une concurrence entre une pléiade de barons (Abbou, Ayadi), soucieux de leurs intérêts. Force est de constater que les « élus », en se prêtant à ces déguisements, ont trahi les termes du contrat en vertu duquel ils ont été chargés, par le « peuple », de la mission, assez banale en somme, de préparer l'avènement de la seconde république. Dans ce cas de figure, la métamorphose s'avère être une entreprise de duperie d'autant plus insidieuse qu'elle est volontaire. En décidant, sans référer à leurs électeurs, de quitter le bercail et de travailler pour leurs comptes respectifs, les clones congressistes ont trahi leur engagement. Normalement, ils auraient dû se répartir leurs électeurs entre eux, proportionnellement au potentiel de popularité de chacun. Pour réussir ce partage, il aurait fallu procéder à un référendum. Cela n'a pas été fait et n'aurait pas été possible même si les concernés avaient envisagé de le faire. Le résultat est hallucinant : la cellule mère et ses clones deviennent des adversaires et des alliés puisqu'ils exploitent le même capital que chacun d'eux prétend être le sien propre. Comment voulez-vous que le peuple reconnaisse un homme, en l'occurrence « l'élu » X, sous les traits d'un singe, d'un lion, d'une hyène, d'un taureau ou d'un âne ? Personne ne peut reprocher aux électeurs de méconnaître l'ANC, dans sa configuration actuelle où plus rien n'est à sa place, plus personne ne ressemble à ce qu'il était ou à ce qu'il prétend être. Mesdames et messieurs les « élus », si vous voulez remontez vraiment dans l'estime du peuple qui vous a élus, vous devez commencer par reconnaître tout d'abord que vous n'avez pas été à la hauteur de la confiance que le peuple a placée en vous et, décidez en conséquence que la mascarade a assez duré et qu'il est grand temps, pour vous, de remettre les rênes entre de bonnes mains. En Tunisie, dans l'état actuel des choses, les bonnes mains ne sont pas à chercher dans l'ANC, cette caverne d'Ali Baba qui regorge d'illusions. Si c'était le cas, l'ANC aurait était capable d'empêcher la débâcle suscitée par la mauvaise gouvernance de la Troïka. C'est là, à notre sens, une raison suffisante, pour tourner enfin la triste page de l'ANC.