N'est-ce pas curieux, ce qui se passe dans notre pays ? Cela fait des jours, avant même le début du mois de ramadan, qu'on nous dit que des groupes terroristes s'apprêtaient à exécuter des coups spectaculaires pendant le mois saint ! Une façon pour eux de montrer aux gens comment on prie Dieu, à leur manière. On nous disait aussi que nos forces de sécurité, ministères de l'Intérieur et de la Défense réunis, sous la sacro-sainte bienveillance présidentielle, étaient en alerte et préparées à contrer tous les coups. Il y avait donc de quoi rester perspicaces, mais en même temps de quoi être relativement rassurés. Or voilà que ce mercredi 16 juillet, le lendemain même du 17 ramadan, anniversaire de Ghazouet Badr, les terroristes frappent terriblement, cruellement, en s'attaquant à nos soldats au moment même de la rupture du jeûne. Je ne sais si le message religieux des terroristes est convenablement perçu par tout le monde, en l'occurrence que pour eux, « il n'y a nulle piété qui ne fasse ses ablutions dans le sang des croyants », quitte à les décréter mécréants pour ce faire. Mais le message civil, lui, est bien reçu. Il nous dit que les terroristes sont là échappant à notre contrôle, surtout au contrôle de l'Etat, pour autant qu'on admette l'existence encore d'un Etat, dans notre pays. Il nous dit aussi que les terroristes sont forts de l'appui intérieur et extérieur qu'ils ont eu pour s'implanter solidement et largement chez nous, et plus forts encore du soutien dont ils continuent de bénéficier, dont tout le monde semble connaître les auteurs sans pouvoir ou sans oser faire quelque chose pour les contrer. Il nous dit surtout, et c'est peut-être le plus grave, que les citoyens se lamenteront quelques jours sur les victimes, rageront quelques temps sur les responsables, écouteront des chansons patriotiques et des discours enflammés, peut-être même de la bouche de ceux qui seraient les premiers à condamner, pour se résigner à la fin et s'abandonner au fait accompli et s'en aller, le jour des élections si elle finissent par avoir lieu, voter encore en faveur de ceux qui viendront continuer l'exécution du projet monté pour la Tunisie, dans le cadre d'une redistribution géostratégique de la région. N'est-ce pas le Coran qui dit que « Dieu ne change rien au destin d'un peuple tant que ce peuple ne décide pas de changer son destin » ? En écho à ce verset, notre poète national Abulkacem Chebbi, accusé d'hérésie pour ses vers, a bien scandé au visage de son peuple : «Si le peuple un jour tient à la volonté de vivre/ Force est au destin d'obtempérer». De fait, nous répétons tous et toujours les vers du poète ; mais sommes-nous certains d'adhérer vraiment à la volonté de vivre ? La réponse est en chacun de nous, là où elle peut vraiment être donnée sans hypocrisie.