A première vue et selon les premières réactions, le gouvernement annoncé par Habib Essid, vendredi 23 janvier 2015, porterait déjà en lui les indicateurs de son inadéquation et probablement les indices assurés de son échec pressenti voire de son rejet, d'emblée, par le vote de l'ARP. Curieusement, cette situation rappelle cet extrait écrit à propos de la III° République, en France : « Sous la IIIe République, le Président de la République nommait un président du Conseil qui se présentait à la Chambre des députés pour y présenter son programme et les membres de son ministère. Lors d'une déclaration ministérielle, il sollicitait alors de la Chambre des députés un vote de confiance […]. Mais il y avait un inconvénient : comme les partis politiques étaient peu structurés et qu'ils étaient nombreux, les personnalités qui avaient espéré rentrer au gouvernement, mais qui n'avaient finalement pas été appelés se vengeaient en refusant l'investiture au Gouvernement. Même s'il bénéficiait de l'investiture sa durée de vie n'était pas très longue. » Cependant, la grande question, dans ce cas précis qui nous intéresse, reste à se demander pourquoi Habib Essid, ou l'esprit qui l'aurait inspiré, a choisi cette formule que d'aucuns considèrent comme une façon d'aller droit dans le mur. Pour l'essentiel, ni le président en charge du Gouvernement ni l'équipe qui le conseille ne peuvent manquer de discernement dans la perception et l'évaluation de la complexité du paysage politique actuel et l'écheveau des difficultés liées aux défis d'un présent par trop pesant et d'un avenir très envoûtant. C'est pourquoi, trois hypothèses peuvent être avancées : La première est qu'il y aurait une quelconque intention de réviser la décision d'avoir nommé Habib Essid de ce premier gouvernement. De ce point de vue, au lieu de faire marche-arrière sur cette nomination, on le pousserait vers un refus de sa proposition par l'ARP, ce qui donnerait l'occasion de revoir la stratégie sans accuser franchement ce que d'aucuns ont considéré comme un mauvais choix. Voilà une hypothèse qui paraît difficile à retenir, mais ses adeptes ne manquent pas. La deuxième hypothèse serait, elle aussi, d'une mise en échec du gouvernement proposé, mais cette fois en commun accord avec Ennahdha qui, comme prévu et comme finalement annoncé, décide de refuser sa confiance au projet de gouvernement. Du coup, c'est les opposants, à l'intérieur de Nidaa Tounes, qui seraient appelés à prendre conscience de la difficulté qu'aurait leur parti à gouverner sans leur concurrent immédiat et à revoir à l'atténuation leur réticence intransigeante à l'égard de l'ancien patron de la troïka. Ce n'est vraiment pas à exclure ; mais est-ce vraiment ce qui pourrait convenir à la situation ? Nombreux sont ceux qui en doutent fermement. Enfin, la troisième hypothèse responsabiliserait les défaillants de la première coalition préconisée, celle où on devait retrouver Afek Tounès, le Front Populaire, AlMoubadara Addostouria, en plus de l'UPL et du Nidaa. En se fédérant pour un vote de confiance en faveur du gouvernement Essid, ces partis mettraient en place un cadre conforme aux orientations des votes populaires du dernier trimestre 2014, celui ayant cherché à charger Ennahdha et sa périphérie de l'opposition, en face d'un Nidaa en position de leader des forces démocratiques. Or cette hypothèse risque, elle aussi, d'être peu réaliste, pour plusieurs raisons qu'il serait long de développer ici, que tout le monde devine, et dont l'une au moins est évoquée dans la citation ci-dessus conduite à propos de la III° République en France. En définitive, sauf preuve du contraire, tout porte à croire que ce gouvernement Essid sera le fusible de la Deuxième République en Tunisie.