Plus je suis heureux et fier de voir les Tunisiens se reconnaître de Bourguiba et lui témoigner la reconnaissance et le mérite qui lui sont dus, plus je suis aigri de certains commerces auxquels se livrent quelques gens, en investissant sur certaines questions liées à la fin de son règne et aux dernières années de sa vie. Parmi les premiers, il y a sûrement des destouriens et des Rcdistes, mais il y a aussi des indépendants, anciens et nouveaux, et certains opposants. Moi qui n'ai pas été partisan sous le régime de Bourguiba, je sens circuler en moi un sang émanant droit de l'esprit et du cœur du père de la Tunisie moderne. Je ne songe à en tirer aucun avantage, je le prends pour un devoir : le devoir de mémoire. Je suis convaincu, cependant, que les concitoyens qui ont la même attitude constituent une majorité écrasante dans notre pays. Cela me réconforte et me rassure quant à notre avenir. Quant aux seconds, ceux qui font de Bourguiba un fonds de commerce, ils ne sont peut-être pas très nombreux, mais ils sont trop criards, bruyants et brouillons dans leur logique et leurs arguments. Je m'en méfie pour mon pays parce que j'imagine un peu leur degré de nuisance, bien que leur reconnaissant le droit d'exister et de faire ce qu'ils font. Et si j'en parle, c'est juste pour pousser à réfléchir et pour juger de la juste part des opinions. Dans cette catégorie de gens, il y a aussi d'anciens destouriens, des responsables même, sous Bourguiba ou sous Ben Ali. Ils se sont tus quant au sort de Bourguiba après 1987, (un sort sur lequel il importe de jeter toute la lumière de la vérité), certains ont accepté des postes et je ne sais quoi d'autre. Je suis tenté de dire qu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Mais de là à venir s'exhiber, après 2011 et aujourd'hui encore, dans les médias avec des allures d'indignés ou de justiciers, il y va de leur dignité propre et de la cohérence de leur démarche, à moins que celle-ci ne soit commandée que par l'opportunisme le plus cynique et le plus terre-à-terre. Néanmoins, dans cette catégorie de gens, il y a aussi des opposants et certains prétendus indépendants pour une opposition certaine. Que je sache, ceux-là, comme les autres, n'ont jamais eu Bourguiba pour cause, sous Ben Ali. Eux pourtant qui avaient la parole libre. Les rares fois où Bourguiba était évoqué, il l'était en tant que prétexte à la gestion de leur conflit avec Ben Ali, presque jamais pour sa cause à lui en tant que « séquestré politique de façon irrégulière ». Aujourd'hui, c'est le même réflexe : on attaque Essebsi, M'bazaa et Rachid Ammar parce qu'ils n'auraient pas assisté aux funérailles de Bourguiba par peur de Ben Ali. Allons Omm Zied, Madame l'épouse du ministre ? Vous êtes sérieuse ? C'est cela votre argument contre ces trois personnes ? Je ne veux pas défendre ces trois citoyens qui ont voulu aujourd'hui rendre hommage à Bourguiba même si je n'ai aucun doute prélable sur la sincérité de leur geste. Mais, vous ? Vous êtes sûre de votre logique de pensée ? Je vous croyais bien plus cohérente et bien plus rationnelle ! Bon, passons : il faut de tout pour faire un monde. Le pire dans tout cela, c'est que l'incohérence est devenue contagieuse, et l'on a de plus en plus tendance à faire de l'hypocrisie une logique. J'ai pu m'en rendre compte à l'écoute, à midi sur Shemsfm, de l'émission de Hamza Belloumi qui me paraît l'un des animateurs les plus attitrés de cette période « postrévolutionnaire » (Il n'est pas le seul, heureusement). Après le plaisir d'avoir écouté Raja Farhat sur la question, des auditeurs ont été interrogés sur le 7 novembre 1987. Nécessité ou complot opportuniste ? Ce que j'ai pu constater, c'est que tous les intervenants soulignaient la nécessité du départ de Bourguiba ; mais tous condamnaient un complot médical qu'ils avaient (eux ou leurs tuteurs) considéré comme un acte salvateur, de haute civilisation, comme une « révolution tranquille ». Sauf peut-être quelques-uns, dont Omm Zied d'ailleurs, qui n'avait fait que prévenir contre une adhésion rapide et la politique du chèque à blanc, ce qui était important quand même. Le plus remarquable, c'est que personne n'avait osé, même aujourd'hui à près de trente ans d'intervalle, proposer une autre formule pour écarter le Président qu'on jugeait dangereusement inapte à poursuivre son mandat à vie. Pour tout dire, je continue de croire que nous avons encore beaucoup à apprendre de Bourguiba et qu'en commémorant la date de sa mort, on devrait en tirer des enseignements pour l'avenir, notamment concernant notre hypocrisie collective qui consiste à céder à la complaisance du pouvoir jusqu'à la caution de ses abus et à faire assumer ensuite toute la responsabilité à un tiers, Ben Ali ou quelqu'un d'autre. Nous devons apprendre à bien définir et délimiter les responsabilités si nous voulons avancer rationnellement. Un long chemin nous attend peut-être pour y arriver, mais plus tôt on commence, mieux on se portera et on progressera.