Après la rentrée scolaire et universitaire qui traîne encore ses conflits et ses bras-de-fer, la rentrée politique aussi a lieu ces jours-ci, avec plein de dossiers sur les bureaux des décideurs, dans les barreaux des discoureurs, dans les gibecières des magouilleurs, certains aussi dans les viseurs des travailleurs. On attendait le plein spectacle autour du 15 octobre, annoncé comme une date de rentrée à l'ARP où des débats tardent à aboutir alors qu'ils sont d'échéance extrême ; en conséquence, ce serait aussi la rentrée à la présidence peut-être avec autre chose que l'éternelle rengaine des libérations précoces d'un bon nombre de prisonniers, au gouvernement où l'on parle de départs plus importants que la démission de parade, dans les partis politiques où l'on finira par comprendre que n'y brûlent que des feux de paille, dans les entreprises privées où l'on a espoir de voir concéder des efforts et des sacrifices supplémentaires pour résorber une part des demandes d'emplois, dans les syndicats où l'on compte sur une acclimatation consentie à la période de crise pouvant aider le pays à se redresser, etc. On attendait aussi la traditionnelle commémoration des martyrs (chômée ou non), mais celle-ci s'est déclenchée plutôt que prévu, cette année. A croire qu'avec ce cancer du terrorisme, qui s'est épris enfin de la Tunisie et qui s'en prend aujourd'hui à son corps et à son esprit, nous risquons de telles commémorations à une fréquence plus rapide et peut-être même de façon régulière. En effet, il est de plus en plus clair que des actes meurtriers accompagnent souvent les fêtes religieuses. C'est à se demander si les auteurs de ces crimes et leurs « maîtres à penser », en fait des maîtres à ne pas penser, ont vraiment une logique de religion à profondeur éthique de la dimension des valeurs humaines. On a ainsi, la veille du premier jour du nouvel an Hégire, non seulement la mort des vaillants protecteurs de notre sécurité et de notre pays, à la fleur de l'âge, mais celle encore plus révoltante d'un berger de condition précaire, enlevé puis retrouvé sans vie sur le mont Sammama où il était parti garder et faire paître son troupeau. Ce qui me révolte vraiment, c'est que la plupart des médias occidentaux continuent d'appeler ces gens-là des « jihadistes » !!! Passons, le paradoxe n'étonne plus et l'absurdité est sans doute une autre effigie de la raison. Mais nous-mêmes qui refusons de les appeler « jihadistes », faisons-nous vraiment ce qu'il faut pour éradiquer leur venin et retrouver un tant soit peu de paix et de sécurité ? A quelque niveau que nous nous plaçons et de quelque posture que nous nous reconnaissons, nous sommes responsables, d'une façon ou d'une autre, de tout mal qui nous affecte et de toute contribution à la guérison que nous manquons. N'oublions pas que les grands prophètes ont d'abord été bergers ; puis ils le sont restés toute leur vie en donnant sens et ampleur renouvelés au mot « berger ». Voilà bien un mot qu'il nous revient de repenser aujourd'hui, peut-être alors conversera-t-il plus essentiellement avec nous. Que c'est beau finalement de finir par croire que nous sommes tous bergers. Nous avons retenu d'un prophète berger, alias un berger prophète, la maxime qui dit : « Chacun est berger». Dans une autre version, malgré la force expressive de la première, il aurait expliqué : « « Chacun d'entre vous est un berger et chaque berger est responsable de son bétail » ». Nous avons retenu le sens de bétail qui nous fait maître des autres et nous avons oublié le sens vrai détaillé par ailleurs dans les propos du prophète, celui de pacage qui nous responsabilise. Oui ! « Chaque berger est responsable de son pacage ». Voilà bien un dit qui me rappelle une autre phrase, d'un autre berger, à sa manière, le fameux Voltaire : « Il faut cultiver notre jardin». Le problème de ces formules lapidaires, c'est qu'elles permettent l'interprétation et son contraire, donnant encore la preuve que rien n'est supérieur à l'intelligence humaine et à sa compétence de converser avec lui-même, dans l'éternelle quête de la Vérité et dans la question de la responsabilité telle que posée, sans doute, dans les Destinées d'A. de Vigny : Qui va porter le poids dont s'est épouvanté Tout ce qui fut créé ? ce poids sur la pensée, Dont le nom est en bas : RESPONSABILITE ? » Question fondamentale si nous ne voulons pas conclure à La Mort du Berger. P.S. : Nous avons choisi d'illustrer la chronique par la photo du chien de police Akil, tué par balles lors de l'attaque du Musée du Bardo. Elle aussi, dans ce contexte, appelle à être interrogée.