Le mois de janvier 2016 sera particulièrement marqué par les prolégomènes des congrès des deux principaux partis politiques de la Tunisie des cinq dernières années. Des prolégomènes qui, dans le bon esprit de la méthode dite « démocratique », seraient déterminants pour le congrès lui-même, tant du point de vue du fonctionnement que de celui de l'infléchissement des décisions. Pourtant, c'est le congrès de Nidaa Tounès qui a ravi les feux de la rampe ces dernières semaines, sous le regard attentif et peu impliqué, au moins en apparence, du Mouvement islamiste. Pour celui-ci, le qualificatif « islamiste » n'est certes plus visible à la dénomination, il est peut-être en discussion dans les coulisses du parti, mais il n'est nullement convenu de l'écarter de son esprit et de ses fondements. Tout ayant été dit ou presque à propos du congrès du Nidaa, en attendant les jours J et J', il conviendrait de s'attarder un peu sur le prochain congrès d'Ennahdha, un congrès extraordinaire qui sera le 10ème, et dont la phase préparatoire, les prolégomènes, en l'occurrence les congrès des cellules locales, a démarré ce dimanche 3 janvier 2016 et s'étendra sur tout ce mois. C'est à se demander si le choix de cette date, symbolique des « émeutes du pain » en 1984, est délibéré et si, par conséquent, son arrière-fond de pensée sociale aura un impact sur le projet de programme politique du parti, à supposer qu'il y en ait un de prévu. En effet, rien n'est sûr de ce point de vue même si Mohamed Fourati, l'éditorialiste du journal officiel d'Ennahdha, « Al-Fajr » (L'Aube), a explicitement souligné la nécessité de ce parti de se positionner, à l'occasion de son congrès, dans la dynamique de construction de l'avenir sur la base d'une pensée de planification politique et de prospection. D'après l'éditorialiste, cette démarche est absente des stratégies d'Ennahdha et contraste avec l'idée communément admise que son parti est « le plus structuré, le plus rayonnant et le mieux organisé » de tout le paysage politique tunisien. Au-delà de ce qui est de circonstance dans tout éditorial de la presse politique partisane, c'est-à-dire la mise en valeur des qualités propres à son parti qui contrasteraient avec les défauts des autres, en plus de l'insertion du discours dans le fondamental de l'éthique patriotique, le journal du 1er janvier 2016 a appelé le congrès de son parti à mettre en place « un projet national ». L'ambition est certes légitime, mais une nuance est de mise ici : Dès sa naissance, sous ses diverses dénominations, Ennahdha avait bien un projet de société, sauf que celui-ci était en rupture d'Histoire et de civilisation avec la nature même du Tunisien et sa façon d'adhérer à la logique de la vie, sans rompre son commerce avec l'au-delà. Son projet de société était donc de nature impérative et non inter-communicative et avait fini dans une violence qui est toute déversée dans le bol des responsabilités de l'ancien régime, mais dont la responsabilité du mouvement islamiste n'est nullement exempte. C'est pourquoi l'idée de projet de société ne peut être que consensuelle et non partisane. Une fois cette idée admise comme principe de base, les différentes visions proposées, de quelque partie qu'elles viennent (partis politiques ou structures d'autres natures), ne peuvent que converger vers l'intérêt commun et assainir la dynamique de l'émulation politique et de la course à la représentativité (plutôt que la course au pouvoir). Or, pour ce faire, Ennahdha a un geste fondateur à réaliser, une décision essentielle à prendre, celle de muter vers le fonctionnement politique civil, celle de se muer en parti civil, au même titre que tous les autres partis politiques de la place. Dès lors, Ennahdha n'a plus de raison de s'inscrire dans l'auto-défense et dans le rejet de certaines culpabilités, réelles ou supposées ; elle sera alors sur le terrain commun de l'action spécifiquement politique. Reste à savoir qui il faudrait convaincre de cette nouvelle orientation, la seule pacifiquement viable ? Certains anciens condors du parti ou le commun des militants de base ? Il me semble que la priorité est à la base et les congrès locaux sont l'occasion historique de cet aboutissement tout aussi historique pour Ennahdha que pour la Tunisie, voire pour le monde arabo-musulman dans son ensemble. Dans cette perspective, les orateurs qui présideront ces congrès locaux ou qui y seront pour enflammer la foule devraient être eux-mêmes de ceux qui sont prêts à porter le nouveau projet de leur parti. Ils doivent être de ceux qui portent le feu qui éclaire et non le feu qui brûle !