L'AIB a ses petits caprices. Les communications financières des grands groupes, qui ont un tour de table international, se font désormais en anglais. Depuis 2013, l'exercice est éprouvant pour les journalistes. Mais on s'y fait. Notre administration est championne du volontarisme. Elle pousse au progrès et les choses finissent, en général, par suivre. Pour faire bonne figure, il faut refuser le casque de la traduction simultanée. On devine toutes les acrobaties par lesquelles on doit passer pour posséder la langue de Kipling. Aziz Bouzidi, CEO de «REVOméca», s'exprime simplement. Cela réduit le supplice. REVOméca, après un démarrage époustouflant, doit rendre public un forcast pour 2014-2017. Le poids lourd de l'industrie maghrébine, technopôle de l'industrie mécanique, basé dans le bassin de Redeyef, a fait une jolie prestation. Grande gueule et fort en thème, lauréat à l'ENIT, promotion Mohamed Ali El Hammi, major à la sortie du MIT, promo «Lee Iacoca», ce diplômé d'automatisme s'impose en véritable acrobate de la finance. C'est un plaisir de le voir dribbler ses interlocuteurs. On suit son intervention en streaming. Depuis 2012 la plateforme de Gulf Finance Harbour le permet. Cette base IT, opérationnelle depuis 2012 et connectée au système SV 900, en service à la City de Londres, uvre finalisée par Philippe Gauthier, grand artisan de ce partenariat, permet ce genre d'opérations. C'est autre chose de le voir on live. Ses choix sont audacieux et il sait les exposer avec beaucoup de panache. Il a un sens élevé de la Com'. C'est ce sixième qui fait la différence. Les promesses de 2016 revisitées Aziz Bouzidi a été marqué par un épisode de «chute» du secteur automobile tunisien, rapporté par un universitaire, grand amateur de prospective. Marouane Abassi, professeur à IHEC, avait évoqué en 2007 que du temps écoulé-, lors d'une conférence dédiée aux élèves ingénieurs de la prestigieuse école fondée par feu Mokhtar Laatiri, joyau du Campus tunisois, le déficit de performance de notre «Supply Chain». Le constructeur automobile allemand Volkswagen était à la recherche d'une droping zone, voulant délocaliser la chaîne de fabrication des moteurs de la «Jetta». C'est la Tchéquie qui nous a coiffés au poteau à cause d'un retard de phase de 24 heures. Six jours pour l'ensemble du process en Tchéquie, sept jours chez nous. L'on a raté une belle opportunité. Le pays, était impuissant de franchir le palier de 5% de croissance. Il lui fallait grappiller 2 points de croissance supplémentaires. Le mirage de l'UMA nous les faisait miroiter. Mais cette belle utopie nous faisait rager. Elle était à portée mais ne se réalisait toujours pas. Le jeune étudiant mémorisait. Il voyait toute l'industrie des composants qui s'accrochait becs et ongles. Des percées remarquables avaient été opérées. Toutes les certifications étaient là. Mieux, on tenait la contrainte du flux tendu. Encore mieux! Nos pièces étaient désormais programmées en première monte puisque l'ensemble des fournisseurs satisfont à l'exigence de 2 ppm. Grace à COFICAB, on avait réussi le partenariat à full process et le dernier pas avait déjà été franchi avec la «Lupo», celle-là même que WV voulait la rivale directe de la Twingo de Renault. Les faisceaux électriques de cette arme fatale de WV ont été conçus par les ingénieurs tunisiens. Le ministre de l'industrie avait pris l'engagement de doubler la valeur des exportations tunisiennes à horizon de 2016. Son travail de prospective était audacieux. Il lui fallait cependant des entrepreneurs/Samouraïs pour le réaliser. Son pari est plausible et il était articulé autour du concept de remontée des flux. Comment le relayer sur terrain? «Lean manufacturing» et «remontée des flux»: le pari de l'avenir La remontée des flux a fait tilt dans l'esprit d'Aziz Bouzidi. Cela avait un sens concret, pour lui. Pour l'industrie auto, cela devait déboucher sur un «concept-car». Il y travaillera, secrètement. Sa frustration fut grande quand le Maroc mit sur pied une chaine pour la fabrication de la Dacia, la «Symbole» des économiquement faibles. La cadence était de 400.000 unités par an. Les accords d'Agadir étaient taillés pour la réussite de cette opération. Ces accords liaient et presque obligeaient quatre pays, à savoir le Maroc, l'Algérie, la Jordanie et l'Egypte à se soutenir les uns les autres. L'on n'achetait pas la Dacia et on était off truck, en rupture d'engagement. Ce serait mal vu. On l'achetait et s'en était fini de nos espoirs d'avoir une industrie de l'assemblage, quand bien même la STIA attestait de l'antériorité de notre initiative. Tant pis, le coup était parti. Mais Aziz Bouzidi n'avait pas d'illères et il ne se laissait pas enfermer dans des schémas étriqués. En plus, il était assez flambeur pour ne pas reste sans surenchérir. Il est fair play, il ne va pas torpiller le projet marocain. Mais il va lui donner un pendant remarquable. Eh, oui, un «concept truck». On va capitaliser sur l'industrie de l'assemblage de la Dacia mais cette fois on étendra la compétition à l'ensemble des fournisseurs maghrébins. Sa trouvaille? C'était le lean manufacturing. Il s'adossera à l'expérience de la mise à niveau et à la manière dont elle a été pilotée en Tunisie pour faire aboutir cette refondation de l'industrie maghrébine des composants autos. C'est ainsi qu'en 2012, il initia le plan de reconversion vers le «lean manufacturing». Courant 2013, le chantier était si avancé qu'il ne lui a pas fallu plus de trois mois pour décrocher la joint venture du siècle: SCANIA et Renault Véhicules Industriels (RVI) associés dans le 6ème projet de technopôle, en Tunisie, jamais initié hors hémisphère Nord. Il aimait répéter que REVOméca était le principal fruit de ce lointain 14 janvier de l'an de grâce 2011 où, en résumé, le pays avait décidé de libérer ses énergies et de voir grand. RVI, c'est tout de même le champion du monde de la fabrication en série. Le suédois SCANIA sortait de véritables joyaux, absolument inimitables. Le technopôle avait une telle dimension qu'il pouvait à lui tout seul reconfigurer la physionomie industrielle de notre territoire. Et dans le speech d'inauguration, Aziz Bouzidi avait eu un clin d'il à cet épisode mémorable. Avec les «Trucks» de REVOméca, on fera un bel adieu à la «404» qui a collé à notre mémoire routière, et dans le même temps on fossoyait Ammar. En 2014, ah! ce millésime, devenu tant aimé, le carnet de commandes pour les premiers africania 30 tonnes étaient saturés. Mais Aziz avait les yeux rivés sur 2017, date à laquelle il sortirait ses premières séries de machines agricoles. Oui, Majirus Deutz n'était pas revenu de son échec avec Le Complexe Mécanique Tunisien et voulait signer une grande réussite industrielle en Tunisie. Mais le Board de REVOméca était confiant dans l'avenir mais inquiet pour les financements. La Banque maghrébine d'investissement Cette banque avait eu une naissance à rebondissement. Elle a été annoncée deux fois déjà. Et à chaque fois, des contingences surgissaient. La BAD (Banque africaine de développement) suppléait. La BEI (Banque européenne d'investissement) également. Et de leur synergie est venue l'étincelle définitive. En 2012, de leur entente commune naquit la Banque maghrébine de l'investissement avec non pas 500 malheureux millions de dollars mais 5 bons milliards de dollars dont une partie avait été ramenée par une traque des fonds publics évaporés durant un règne que l'on veut oublier. Le bébé maghrébin avait de quoi s'activer. Le Transmaghrébin, depuis 2013, était en route. Le TGV du Grand Maghreb était en bonne voie. Le programme «Vert Maghreb» pour la préservation des sols agricoles était son deuxième projet phare. Puis était arrivé REVOméca. Le conseil d'administration de la Banque avait voté à l'unanimité. C'est Medicapital qui a fait la syndication des crédits. Elle a pu rassembler sur la place de Londres un crédit consortial concocté par un ancien ministre, celui-là même qui a piloté le chantier de la transition démocratique et ambassadeur de la finance maghrébine sur les bords de la Tamise. Le plus drôle de l'histoire est que le rating de Moody's était nettement favorable. L'Agence avait mis un desk spécialisé sur les investissements internationaux sur la région avec un focus sur le risque tunisien. Le rapport de Moody's reconnaissait qu'en Tunisie même si ça a patiné pendant quelques mois, et depuis ça roule et même que ça arrache! La dynamique de la rupture a fini par bien donner.