CHRISTOPHER HART, JAMES HESKETT ET W. EARL SASSER Jr Anticiper les erreurs
L'entreprise peut concentrer sa recherche des incidents en surveillant plus particulièrement certains points faibles, et en tenir compte dans sa stratégie. C'est notamment le cas des services qui s'appuient sur une chaîne de coordination complexe entre des personnes et du matériel et qui tendent à être vulnérables au moindre incident, car une seule erreur peut se répercuter sur l'ensemble du système (vols aériens, par exemple).
Nous avons récemment éprouvés nous-mêmes l'incapacité d'une entreprise à faire face aux incidents, et à prévoir des mesures de compensation : nous faisions partie d'un groupe de professeurs qui se déplaçait de Boston à Columbus, dans l'Ohio, avec un arrêt à Washington National Airport. Nous n'avions pas été prévenus qu'un départ retardé de Boston pourrait nous condamner à rester à Washington pour toute la nuit, car cet aéroport a un système de couvre-feu interdisant les décollages à partir d'une certaine heure. C'est ce qui s'est passé, et cela nous a fait manquer le séminaire du lendemain matin. Pire encore, le personnel de nuit de la compagnie aérienne, US Air, était en nombre insuffisant. Comme il était sollicité de toute part, les passagers, déjà de mauvaise humeur, durent faire la queue pendant une heure pour obtenir de l'aide et des renseignements. S'il y'a des problèmes qui sont faciles à prévoir, c'en est bien là un exemple. Mais, par la négligence de la compagnie, les passagers et le personnel ont tous deux souffert.
Il faut aussi anticiper les problèmes créés par l'introduction de nouveaux services ou de nouveaux produits. Dès l'ouverture de l'aéroport international de DallasFort Worth, les passagers s'aperçurent qu'il leur était impossible de s'y retrouver. Non seulement l'aéroport était construit selon une architecture inhabituelle, mais il comprenait aussi l'un de premiers systèmes de navettes aériennes pour transférer les passagers entre les terminaux. Il fallut des mois pour revoir l'organisation de l'espace et la signalisation, afin de rendre l'aéroport plus praticable : des mois d'énervement et de perte de temps pour les utilisateurs.
Il est bon également de surveiller de près les domaines où le turnover est rapide et donc le personnel, par définition, plus inexpérimenté. La première personne que rencontrent les usagers d'une compagnie aérienne est l'employé chargé de manoeuvrer le sas de sécurité de l'aéroport. C'est probablement le plus mal payé, et le plus inexpérimenté dans la relation avec la clientèle. Pourtant, c'est sur lui que repose la responsabilité de créer une bonne impression d'entrée de jeu.
Traiter les problèmes individuels au fur et à mesure qu'ils se présentent est une bonne chose. Mais l'entreprise doit ensuite réfléchir à ces incidents afin de détecter les domaines particulièrement vulnérables, ceux où les incidents tendent à se reproduire. Ceci constituera un point de départ pour améliorer l'organisation du service. Faites comme cet hôtel Sheraton d'une ville de Floride, le PDG d'une compagnie d'assurances qui y descendait oublia les clés de sa voiture de location dans le coffre; le personnel de l'hôtel se mit en quatre pour l'aider. Le veilleur de nuit informa le client qu'un serrurier sous contrat avec l'hôtel viendrait remplacer les clés d'ici un quart d'heure. Pendant ce temps, d'autres employés dégageaient la voiture, qui était coincée au milieu de la rampe d'accès à l'hôtel, grâce à un cric roulant rangé aux abords immédiats du parking. Bien. De toute évidence, ce n'était pas la première fois que quelqu'un perdait ses clés de voiture !
Agir vite
L'identification rapide d'un problème (dans l'idéal, avant même que le client ne s'en soit aperçu), n'est efficace que si l'entreprise réagit sans délai. Nous avons calculé dernièrement que les clients qui ont subi une déception en parlent à onze personnes autour d'eux, en moyenne. Ceux qui ont été satisfaits, seulement à six personnes.
Les problèmes de service créent donc souvent un phénomène de boule de neige qui oblige l'entreprise à agir rapidement si elle ne veut pas que le client ébruite ses doléances. Paul Hawken, le P-DG d'une entreprise de vente par correspondance d'articles de jardinage à Mill Valley, en Californie, a trouvé une façon simple d'accélérer le processus : il utilise le téléphone au lieu du courrier. Auparavant, les consommateurs qui avaient des problèmes ou des questions recevaient des formulaires en réponse à leur lettre. Ce système était efficace pour la direction mais les économies se faisaient aux dépens du consommateur. Exemple: un client de longue date passe une commande avec une carte American Express, que l'entreprise croit à tort être périmée. Elle envoie le formulaire habituel. Le client répond. S'ensuit un autre formulaire, entraînant une autre réponse du client. Ce système a déjà retardé des commandes de deux mois. Maintenant chez Smith et Hawken quelqu'un résout les problèmes en quelques minutes, au lieu de quelques mois. Le coût de la communication téléphonique est compensé par les économies de paperasserie.
Former les employés
L'entreprise doit former les employés qui sont en contact direct avec les clients, puis elle doit leur donner carte blanche. Cela peut être ressenti comme une menace, particulièrement chez ceux qui détiennent un niveau intermédiaire de responsabilité (le « middle management ») et qui peuvent l'interpréter comme une remise en question de leur autorité, voire de leur compétence. Pourtant, c'est absolument essentiel si l'on veut remédier de façon efficace aux incidents. Les employés les plus proches des clients sont les premiers à s'apercevoir des problèmes, et sont les mieux placés pour décider de ce qui doit être fait pour les satisfaire.
La formation est un facteur décisif dans le développement des aptitudes nécessaires à l'approche des clients irrités. Une telle formation doit mettre l'accent sur l'apprentissage de l'autonomie, de la prise de responsabilité et de la sensibilité aux demandes des clients. La meilleure méthode consiste à jouer des rôles et à simuler des situations de la vie réelle. Les agents des services secrets américains, qui sont parmi les mieux entraînés au monde à éviter les erreurs de services, passent des heures à anticiper ce qui pourrait arriver, à discuter et à planifier toutes les éventualités. Chaque agent, quel que soit son grade, participe tous les ans à des séances de formation continue.
Les hôtels Sonesta utilisent des jeux dans leur programme destiné aux nouveaux employés. Les stagiaires sont divisés en deux équipes, chacune, à tour de rôle, reçoit la description d'un problème et doit trouver une solution. L'équipe d'en face dispose de cinq solutions possibles, avec lesquelles elle compare la réponse. Et elle donne des points selon plusieurs critères généraux : bonne observation de la situation, capacité à réagir, soin et sollicitude apportés au client et compensation des pertes subies.
L'Association américaine des résidences pour personnes âgées distribue un jeu de l'oie, le « jeu de la prévenance », que les foyers pour personnes âgées utilisent pour entraîner leurs employés à faire face aux problèmes qui ne leur sont pas familiers. Le jeu comprend une planche, six jetons, un dé et quarante cartes, chacune décrivant un problème réel ou imaginaire. Par exemple: « M. Talbot, 78 ans, se plaint qu'il fait trop froid dans la salle, et qu'il va tomber malade. Il insiste pour que vous augmentiez le chauffage. Mais d'autres résidents veulent qu'on laisse en place le système de refroidissement. » Ou bien : « Un pensionnaire de 72 ans, en état d'ébriété, entre dans la salle à manger et fait un scandale. »
Au fur et à mesure que les joueurs tirent les cartes, ils les lisent tout haut, donnent leur impression, ainsi que l'attitude qu'ils adopteraient. L'objectif est de sensibiliser les joueurs à différentes situations. Les commentaires ou les encouragements sur les avis qu'ils émettent spontanément ont pour but de leur permettre d'intérioriser un ensemble de critères pour évaluer les problèmes de la vie réelle.
Pour développer les aptitudes nécessaires afin de bien réagir face aux incidents la formation doit aussi donner aux employés le sentiment de travailler en symbiose avec leur entreprise. La spécialisation extrême des tâches donne des oeillères aux opérateurs et entrave leurs réflexes quand surviennent des problèmes. Un employé qui connaît l'ensemble du processus de livraison a plus de chances de trouver une solution rapide. Une rotation tics employés sur différents emplois est la façon la plus facile de susciter cet état d'esprit.
Les dirigeants d'une entreprise savent comment résoudre les difficultés des clients, mais les clients ne sont pas prêts à attendre que leur problème gravisse les échelons de la hiérarchie, ou rebondisse d'un département à un autre. De toute façon, les managers ne peuvent pas répondre à tous les coups de téléphone, être derrière chaque guichet et contresigner tous les papiers. C'est pourquoi la qualité du service, notamment pour ce qui concerne les remèdes aux incidents, repose sur les employés de la « ligne de front ». Au-delà de l'attitude traditionnelle, qui consiste à suivre les règles, à se cantonner à sa propre tâche, et à appliquer la consigne à la lettre, ces employés doivent être capables de faire exactement le contraire: déroger à la règle, prendre l'initiative, et improviser. Constituer une équipe capable de l'un comme de l'autre requiert efforts et rigueur, mais conditionne la possibilité de regagner des clients mécontents.