Il suffit de lui parler de G8 pour que la moutarde lui monte un peu- au nez. Visiblement agacé par tout ce qui se dit sur internet, et plus précisément Facebook, sur le travail que lui et d'autres têtes bien faites de la Tunisie sont en train de faire pour convaincre les bailleurs de fonds à aider la Tunisie à se remettre économiquement sur pied, Elyès Jouini s'insurge contre les insinuations qu'ils seraient prêts à endetter le pays jusqu'au cou et, pour cela, à faire toutes les concessions demandées par les argentiers des huit pays les plus développés au monde. En fait, précise ce professeur d'université hors classe, les pays du G8 n'exigent rien de la Tunisie en contrepartie de l'effort financier qu'ils se disent prêts à faire en sa faveur. Pour la simple raison que «nous sommes dans une phase d'investissement et pas en train d'appeler au secours, comme la Grèce aujourd'hui. La Grèce a vécu longtemps au dessus de ses moyens, elle demande aujourd'hui de l'aide et on lui répond qu'avant cela, il faudrait que vous vous serriez un peu la ceinture», explique notre interlocuteur. Certes, «notre économie est aujourd'hui en mauvais état parce qu'elle a reçu des chocs, mais globalement elle est dans une situation raisonnable. On veut lancer un programme d'investissements. Des investissements, ce sont des projets rentables et qui permettent après de rembourser les prêts. Et donc on cherche des financeurs». De ce fait, les seules garanties que demandent les bailleurs de fonds concernent la gouvernance et la transparence. «Ils veulent être sûrs que l'argent n'ira pas dans des comptes en Suisse ou ailleurs», observe Elyès Jouini. D'ailleurs, la Tunisie ne s'est pas présentée au G8 en petit poucet venant frapper à la porte des puissants de ce monde. Loin de là. «Dans le document présenté et dans les discussions, nous avons dit à nos vis-à-vis: nous sommes maintenant dans la cour des grands, nous avons mis en avant les mêmes valeurs que vous: de démocratie, de liberté, etc., nous demandons donc un accès privilégié à l'Union européenne, au marché américain». Pour le gouvernement tunisien qui veut redonner du tonus à l'économie, le sommet du G8 était une opportunité pour présenter «les grandes lignes de ce que pourrait être un programme de développement», expliquer pourquoi il est convaincu que «la Tunisie peut réaliser une croissance largement supérieure à celle qu'elle a fait par le passé», présenter les points forts du pays et ses besoins en matière d'investissement «pour réaliser cette perspective de développement et cette croissance». Et c'était important de le faire, parce que «les pays du G8 sont les plus puissants de la planète et ont la capacité de jouer le rôle de force d'entraînement des organisations multilatérales, et des autres pays qui sont susceptibles de suivre la démarche». Concrètement, la Tunisie a annoncé qu'elle comptait proposer des projets nécessitant une enveloppe d'investissement de 125 milliards de dollars, et demandé aux pays du G8 de se tenir prêts à y contribuer à hauteur de 25 milliards de dollars. Le bilan de cette opération est jugé plutôt positif par Elyès Jouini. La Tunisie ainsi que l'Egypte- a obtenu «un discours politique positif, mais aussi la fixation d'échéances». Ces pays se sont déclarés «prêts à aller de l'avant», rappelle Elyès Jouini. Le G8 a annoncé un plan d'aide de 40 milliards de dollars pour la région, mais en priorité pour la Tunisie et l'Egypte. Mais l'ancien ministre a des craintes quant au respect de cet engagement. D'abord, il trouve évident que «les 40 milliards ne sont pas destinés seulement à la Tunisie et à l'Egypte. Vont bénéficier également les pays qui réussiront à faire leur transition. Le périmètre n'est donc pas très clair». Ensuite, sur les 40 milliards, combien iront à la Tunisie et à l'Egypte? Il y a un calcul simple qui consiste à dire que nous, nous avons demandé 25 et eux 15, cela fait 40. Mais malheureusement c'est illusoire, car eux n'ont demandé que ce qui est immédiat, et nous sur cinq ans. Ensuite, en raison de la crise de la Grèce, et, éventuellement du Portugal, notre interlocuteur craint que les pays occidentaux ne fassent pas de dons. «Les pays du Golfe en ont déjà fait à l'Egypte et en feront peut-être à la Tunisie, mais il faut être conscient que ces deux n'ont pas la même importance pour le Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Pour eux l'Egypte, c'est essentiel et sensible. Si le chaos s'y installe en Egypte, c'est toute la région qui aura des problèmes. Ils n'ont pas forcément le même intérêt pour la Tunisie et il n'est pas évident qu'ils soient disposés à la financer autant que nécessaire». Le plus important reste à faire, c'est-à-dire la discussion des projets présentés par la Tunisie et l'affectation des financements s'y rapportant. Ce sera fait au cours d'une série de rendez-vous qui commenceront avec la rencontre, vers la mi-juillet à Bruxelles, des ministres des Finances et des Affaires étrangères «pour travailler concrètement sur les projets». Le travail continuera en septembre à Marseille avec les ministres des Finances de la zone méditerranéenne, et le G20 finance en octobre ou novembre. «Toutes ces échéances ont été fixées pour faire en sorte que la volonté politique puisse se transformer en données concrètes», note Elyès Jouini.