Beaucoup d'historiens font dater la vraie arabisation -et islamisation- de la Tunisie à partir de l'an 1100, les liant à l'arrivée des Béni Hilal et leurs tribus arabes (Banou Salim, Banou Riah, etc.). Ces Tribus envoyées par le Calife fatimide du Caire afin de punir les Sanhajis, berbères de souche qui ont gouverné au nom des fatimides et qui ont exprimé des velléités d'indépendance. Aujourd'hui, la succession des prédicateurs qui envahissent nos mosquées et nos stades, nous apportant soi-disant une nouvelle islamisation au goût wahhabite prononcé font penser au Béni Hilal et leur installation en Tunisie. Cependant, les données ont changé depuis, et la Tunisie aujourd'hui pourra bien réserver aux téléprédicateurs, payés par les pétrodollars saoudiens, bien de surprises. Mais arrêtons-nous d'abord au processus initial de ces initiatives. Les prédicateurs égyptiens ne viennent pas seuls. Ce sont des associations et des Tunisiens qui, collectivement ou individuellement, les ont invités. Ces Tunisiens-là croient ferme à ces prêches diffusés à longueur de journée par des chaînes satellitaires majoritairement liées aux milieux salafistes saoudiens et «khalijis» en général. Des années de frustration et de chape de plomb que Bourguiba, et Ben Ali après lui et plus que lui, ont fait peser sur toute expression d'avis «islamiste» en Tunisie ont fait virer ces gens là vers un extrémisme qui s'il n'était pas vraiment violent matériellement l'était idéologiquement pour faire pièce à une oppression tous azimuts qui a visé toutes les expressions islamiste poussant même les plus modérées d'entre elles à la radicalisation. Un an après la révolution, ces gens-là sont encore sur ces positions, et il y en a même qui ont franchi le Rubicon les armes à la main, comme ce qui s'est passé à Rouhia, à Bir Ali Ben Khalifa et ailleurs Ces Tunisiens-là -et on ne les a pas inventés- croient que nous vivons dans la «Jahilia» et que nous sommes candidats à l'islamisation Pour atteindre ce but, tous les moyens sont permis. Ils se trouvent que cette attente chez eux correspond aussi à un épisode géopolitique et stratégique de taille. Une guerre à peine voilée est en train de se faire entre le petit Qatar qui veut devenir grand et le géant saoudien qui en a marre des agissements de ce petit émirat fort de sa chaîne Al Jazeera et de ses accointances avec l'administration américaine qui a décidé de l'employer pour amadouer les islamistes réveillés et aguerris par le printemps arabes, de Rabat à Damas. A défaut d'Al Jazeera, les Saoudiens utilisent les salafistes en majorité très wahhabites pour influer dans un sens de radicalisation. Les deux alliés de l'Amérique travaillent chacun pour son compte. L'Oncle Sam est dans les deux cas gagnant! Nous autres sommes, dans les deux cas, perdants! Cependant, les salafistes tunisiens qui invitent et leurs invités qui se succèdent et leurs bailleurs de fonds de partout se trompent sur la Tunisie. Ces revanchards d'un autre âge qui n'ont jamais digéré le modernisme et l'ouverture de Bourguiba et de l'Etat tunisien, depuis 1956, croient que c'est une bataille rangée entre leur islamisme illuminé et des laïcs à la solde de la France et d'ailleurs! L'ennui pour eux c'est qu'ils ne lisent pas l'histoire de la Tunisie et son particularisme qui ne date pas de Bourguiba mais qui, des siècles avant lui, s'est illustré par le très libéral «acte de Mariage de Kairouan» autorisant l'épouse à avoir le droit de demander le divorce en cas de remariage de soin mari sans son accord. Ils ont oublié que ce pays a eu dans les années 1860 la première Constitution libérale et civile dans un pays arabe. Ils oublient que ce pays a eu le premier parti politique fondé pour inventer «une Constitution» et qu'il s'est appelé (le Parti Destourien Tunisien) et à sa tête un érudit qui n'est autre que Cheikh Abdelaziz Thaalbi. Ils oublient encore que le premier syndicat dans un pays arabes était celui de Mohamed Ali Hammi en 1922 et que Tahar Haddad a déjà préparé la libération de la femme tunisienne par ces écrits dès les années 30 en même temps que ceux de Kacem Amine en Egypte! Ils tentent aujourd'hui, en interposant des prédicateurs décatis qui ne pensent que par leur instinct macho, de faire ré-islamiser ces contrées plongées selon eux dans les affres du laïcisme! On peut toujours essayer!