L'événement monétaire, en cette fin du mois d'août 2012, a été de toute évidence la décision du Conseil d'administration de la Banque centrale de Tunisie (BCT) sous la houlette du nouveau gouverneur, Chedly Ayari, «de relever de 25 points de base le taux d'intérêt directeur de la Banque centrale de Tunisie, pour le porter à 3,75%». Il y a une année, son prédécesseur, Mustapha Kamel Nabli avait réduit pour la deuxième fois en l'espace d'une année ce taux de 100 points. Zoom sur deux styles de gouvernance de la Banque centrale Revenons d'abord sur la récente augmentation. Dans son communiqué, la BCT donne à voir que sa décision a été motivée par deux raisons majeures. La première a consisté à s'aligner sur les taux du marché bancaire en cours. On y lit: « Suite aux pressions enregistrées sur le marché monétaire, le taux d'intérêt a poursuivi sa hausse pour atteindre 3,85% au cours du mois de juillet dernier contre 3,64% au cours du mois de juin 2012. Ce taux a atteint le 28 août 3,98%». Il s'agit donc d'une simple adaptation du taux directeur, c'est-à dire le taux référentiel, au taux du marché lequel n'a cessé d'augmenter, depuis le début de l'année. La deuxième raison est dictée par la hausse de l'inflation et par le souci de la contenir. Le communiqué relève, à ce propos, que la BCT a enregistré, en ce qui concerne l'évolution des prix, «la poursuite des pressions inflationnistes, au cours du mois de juillet durant lequel le glissement annuel de l'indice général des prix s'est élevé à 5,6% contre 5,4% au cours du mois de juin 2012 en relation, notamment, avec la hausse des prix des produits alimentaires». Empressons-nous d'attirer l'attention sur le fait que cette inflation, de par son origine, en grande partie importée par l'effet de l'accroissement des importations, ne sera atténuée que faiblement. La BCT en est consciente puisqu'elle fait observer dans son communiqué que «toutes les données disponibles relatives à la demande intérieure et l'évolution des prix de certains produits de base sur les marchés internationaux laissent prévoir une poursuite des pressions inflationnistes au cours de la période à venir». Concrètement, cette augmentation impactera, négativement, en premier, les particuliers et les entreprises endettés. Ils auront la désagréable surprise de constater, lors des prochaines échéances de paiement de leurs créances, que le taux d'intérêt est plus élevé Cette augmentation aura par contre, selon Hachemi Alaya, universitaire et expert en économie, l'avantage de stabiliser, relativement, le taux d'intérêt du marché, lequel connaît, ces derniers temps, d'importantes fluctuations. «Un jour, il est à hauteur de 4%, un autre, il est à 3,2%», a-t-il expliqué. Par delà la portée et l'impact de cette augmentation, la question qui se pose dès lors est: pourquoi un tel gouverneur décide de relever le taux directeur alors qu'un autre décide tout le contraire? En réponse à cette problématique, Hachemi Alaya, qui s'exprimait sur les ondes de Radio Express Fm, estime que Mustapha Nabli avait raison de baisser ce taux. Pour lui, au regard de la situation qui prévalait dans le pays, au cours de cet exercice, l'ancien gouverneur avait pris la bonne décision en assouplissant ce que le FMI appelle dans son rapport sur la Tunisie «les exigences réglementaires de la BCT et d'autoriser les banques à rééchelonner les prêts accordés aux entreprises touchées par la récession, et ce en injectant d'importantes liquidités dans le système bancaire pour aider les banques dans un environnement de baisse de la performance des actifs». Plus simplement, la baisse du taux d'intérêt de référence a permis aux entreprises d'alléger leurs charges financières (payement d'intérêts moins élevés ) et de souffler en quelque sorte, alors que cette mission n'était pas du ressort de la Banque centrale dont le métier essentiel est de défendre la monnaie nationale. C'est dans ce sens là qu'il faudrait comprendre «la transgression des exigences réglementaires de la Banque des banques» relevée par le FMI. Quant à la décision de Chedly Ayari de relever ce taux d'intérêt, elle a été qualifiée par le même Hachemi Aleya d'«audacieuse», lequel a ajouté qu'elle constitue «la seule arme» que tolère la réglementation de la BCT pour réduire l'inflation. A travers cette décision, Chedly Ayari est, pour lui, dans le droit fil de son métier, celui de veiller au grain et de défendre le dinar. «Cette augmentation, a-t-il-soutenu, est aussi un avertissement au gouvernement et aux consommateurs pour qu'ils prennent conscience des difficultés rencontrées par l'économie du pays». Ces difficultés, tout le monde les connaît. Elles résident, globalement, en notre incapacité à produire assez, à consommer plus que nous produisons, à importer plus que nous exportons, et surtout à importer au prix fort (en devises) des produits que nous pouvons produire chez nous (céréales, produits pétroliers raffinés ), et ce pour peu que la sécurité alimentaire du pays soit érigée en priorité absolue et pour peu que la raffinerie de Skhira soit réalisée dans les meilleurs délais.