Il casse tous les clichés. Ni cigare aux lèvres, ni menton pointé vers le ciel, ni auréole pompeuse, ni expression prétentieuse. Mais une intelligence mi-sage mi-espiègle dans le regard qui trahit une expérience solide comme le fer. Tee-shirt blanc léger, pantalon grège, chaussures et chaussettes blanches comme la craie, et des lunettes assez grandes pour un visage presque émacié, l'homme musarde entre le manège, le restaurant et les tentes romaines qu'il regarde fixement avec dans les yeux cette interrogation inquiète de quelqu'un se demandant s'il a bien fait les choses. Nous sommes au Complexe de loisirs et d'animation des Berges du Lac. C'est dimanche 2. Il est 22 heures passées. Et soudain, à un moment, l'homme est comme figé devant l'un des écrans géants qui retransmettent en direct à partir de la Chaîne El Arabia. Il y a en effet de quoi être interpellé. La belle Haïfa Wahbi, grandeur plus que nature, se déhanche à qui mieux mieux sur le tableau de la Chaîne. Et l'homme regarde Regarde Puis se tourne vers son bras droit, M. Taoufik Khayati, 42 ans d'hôtellerie à son actif, pour lui demander : « C'est elle ?... ». Réponse : « Oui, c'est elle ». Sauf que l'homme, probablement octogénaire, ne regarde pas admiratif, mais pensif. Car c'est elle, Haïfa, qu'on lui a conseillé d'inviter animer les soirées de la deuxième quinzaine de Ramadan. Lui ?... Lui, Abderrazak Ben Mahmoud, s'intéressant de but en blanc aux stars de la scène ?... Qui l'eût cru ? Surtout, quel rapport entre ce béton armé du logement tunisien et le monde des stars ?... Eh bien, c'est comme ça Tunisois né quelque part dans la vieille Médina, Abderrazak se montre dès sa prime enfance un peu particulier : il n'en fait qu'à sa tête. Têtu, plus exactement. De sorte qu'il préfère s'assumer plutôt que de se faire assister. Aussi sa scolarité, le secondaire surtout, est-elle chamboulée : elle se traîne du Collège de Carthage au Lycée Carnot en passant par le Lycée Sadiki. Au bout du compte, le jeune homme s'envole pour la France. Et c'est là qu'il se trouve, seul, à l'école de la vie. S'assumer chez soi est une chose, mais s'assumer à l'étranger en est une autre. Et de toute manière, l'aventure parisienne ne dure pas longtemps. En 1960, il est de retour à Tunis. C'est l'époque où naissent un peu partout des coopératives. Lui s'entiche de la construction allez savoir pourquoi. Et il est presque immédiatement bombardé président de la coopérative du bâtiment. Contrairement à la SNIT passée spécialisée dans les logements sociaux, lui se spécialise petit à petit dans les logements économiques, c'est-à-dire des villas, non des appartements. Cela va durer jusqu'à 1966 quand il se décide à opérer pour son propre compte. Il a maintenant son bureau à lui, et un petit nom qui commence à se forger de jour en jour. Il faut dire qu'il est servi par une conjoncture assez favorable : beaucoup de terrains vierges, manque de logements, et des prix très doux. A 100 millimes le mètre carré de terrain, il fallait être malade pour ne pas acheter. C'est simple : une villa vendue par Ben Mahmoud en 1966 à 3.500 dinars a été revendue en 2001 à 350 mille dinars ! Cent fois plus chère. Qu'importe En 1974, Abderrazak Ben Mahmoud, qui a déjà derrière lui bien des projets dressés un peu partout (Tunis et banlieues), crée la Chambre syndicale des agents immobiliers au sein de l'UTICA et en devient tout naturellement le président, titre qu'il gardera jusqu'à 1995. Entre temps, que de prix, de trophées, de médailles et de nominations ! On cite, à titre d'exemples, le Trophée de Madrid, ou son élection, en 1986, à la Fédération internationale de l'immobilier (Paris), ou encore, mais c'est très récent, le Prix de New York en 2003, pour sa qualité de promoteur immobilier à la stature maintes fois distinguée dans les manifestations internationales. Inutile de préciser qu'il a toujours continué à construire : « C'est ce que je sais faire, c'est mon obsession, je n'arrêterai jamais de construire ». Oui, mais avec l'obsession, l'entêtement. Il construit là où ça semble risqué. Quand, fin 1987, il décide de construire aux Berges du Lac, certains prophétisent : «Ben Mahmoud va couler dans le Lac lui et ses immeubles ». C'était très vite aller en besogne Aujourd'hui, il faut être un vrai quelqu'un pour s'installer sur les Berges. Des années plus tard, il ne trouve pas mieux que de jeter son dévolu sur le désert d'El Agba, à 3 km de Den Den, dans la banlieue ouest de Tunis. Investir en masse dans El Agba eût paru farfelu aux yeux de beaucoup. Pas lui. Sans crier gare, il y construit deux mille cinq cents logements. Au commencement, à la question de quelqu'un lui demandant les raisons d'une telle aventure quelque peu hardie, il a répondu : « Patientez un peu, je ferai d'El Agba El Menzah Ouest !». Pari à demi gagné : déjà six cents familles y habitent (sur ses 2 500 villas) et une infrastructure qui gagne de plus en plus du terrain. Fonceur, Si Abderrazak n'est pas pour autant aventurier. Dans les affaires, il a appris le flair. Et s'est fait des reins solides. Son secret ?... « Exigeant avec moi-même et envers les autres ». Sa méthode ?... « Le citoyen arrive chez moi en tant que client, il en sort à titre d'ami ». Beau parleur, donc ?... « Non, j'ai un nom en jeu, et cela m'oblige à être très honnête ». Et c'est quoi déjà le nom ?... « C'est ce qui vous élève très haut si vous êtes sincère et honnête ; et c'est ce qui vous rabaisse très bas dès lors que vous dérapez, que vous faites de fausses notes ». Alors, Si Abderrazak ne s'est jamais trompé ?... « Si !, mais à chaque fois j'ai su faire face à mes responsabilités, jamais je ne me défile devant mes responsabilités ». Il est père de deux filles et de trois garçons, dont l'un s'achemine tout droit vers les affaires