Des millions de Tunisiens vivent au quotidien la passion du football, sur le terrain, dans les tribunes des stades, l'oreille collée au transistor ou bien les yeux fixés et figés devant le petit écran. Les étendards brandis, de ce sport roi, sont un redoutable facteur d'homogénéisation sociale puisque les couleurs arborées neutralisent, pendant que les gladiateurs des temps modernes s'étripent sur le gazon, les antagonismes des classes et les hiérarchies flamboyantes. La lutte contre la violence, contre les bas instincts et les replis régionalistes, et en faveur du fair-play devraient, en principe, placer le football à l'avant-garde des efforts pour créer une conscience fondée sur l'humilité, l'autodiscipline et le respect de l'adversaire. Or, nous assistons maintenant, professionnalisme débridé oblige, à un championnat soumis aux règles d'une concurrence aux relents de vendetta, assujetti à un business obéissant aux lois froides du marché.
La financiarisation de notre football
Pour conserver son aura, rehausser la qualité de la compétition et installer, au cur des rencontres, les notions de l'émulation et de l'effort, notre championnat doit se jouer de façon équilibrée, adossé à des adversaires forts pour que les matchs soient intéressants ; et des recettes, issues principalement de la vente des droits de retransmission, réparties à tous les niveaux afin que chaque équipe ait des chances de gagner des trophées.
Laisser les clubs les plus forts tout rafler et acheter les meilleurs joueurs a conduit, tout au long de la dernière décennie, à un quasi-monopole aux mains des riches, ce qui a nui immanquablement à la teneur du championnat, a exacerbé les tensions identitaires et a mis en déroute l'équité des compétitions. Les valeurs sportives éthiques doivent, à tout prix, concurrencer l'argent pour permettre au football, une seconde religion dans notre pays, de demeurer l'idéal d'un avenir sain et équilibré pour une jeunesse à la recherche de repères, de modèles et de processus identificatoires.
« La financiarisation effrénée du sport roi n'est pas une tare en soi mais nous devons -les instances de tutelle et les pouvoirs publics sont impliqués- l'empêcher de tout régenter à travers une série de lois et réglementations à même de garantir une compétition saine et des chances égales pour tous de gagner», nous dit M. Abdelbaki Ben Massoud, vice-président du club d'El Omrane et observateur vigilant des arcanes footballistiques nationales, qui appelle la communauté sportive du pays et l'élite dirigeante des différents clubs à laisser la glorieuse incertitude de la compétition prévaloir sur les certitudes moroses de l'argent.
Les arbitres, acteurs mal-aimés
Invectivés, sifflés, critiqués, pointés du doigt les arbitres tunisiens, acteurs incontournables d'un sport populaire et surmédiatisé, sont, à l'issue de la plupart des matchs, apostrophés, pris à partie et parfois malmenés, en direct, grâce à la vigilance (sic) des équipes de télévision en place, par des dirigeants, des joueurs criant au complot.
Tension, ambiance électrique, hostilité des tribunes sont le lot d'une profession décriée tout au long d'un championnat à la recherche, et c'est de bonne guerre, d'une victime expiatoire, susceptible d'endosser les échecs et les déboires d'un club jouant sa survie ou en guerre ouverte pour le sacre.
«La starisation des joueurs, les enjeux financiers de la compétition et l'égo démesuré de certains dirigeants ont ouvert la voie à des polémiques dont se serait bien passé un corps arbitral, inquiet de voir les principales rencontres dirigées, à la demande des clubs ou de la fédération, par des hommes en noir venus d'ailleurs», rouspète le responsable de la formation au sein de la direction nationale de l'arbitrage qui appelle les instances fédérales, afin de désamorcer les tensions actuelles, de rapprocher les familles du football en proposant à de futurs joueurs et arbitres de vivre ensemble, à travers des stages de formation, leurs cursus professionnels.
Des identités en jeu:
«Les 'tifosis'' des clubs habitués au challenge aiment les présidents capables de trôner et de boire, lorsque le besoin se fait sentir, leurs colères homériques», clame Lassaâd Dhiab, ancien joueur espérantiste et analyste discret de notre compétition nationale qui met l'accent sur le rôle redoutable du dirigeant n°1 dans la modération de ses propos, l'apaisement des passions et la promotion, à travers la formation et l'engagement du staff technique, d'une identité, d'un style de jeu capable de survivre aux différentes mutations et crises dont seules les péripéties du football ont le secret.
Dans le sport autant qu'ailleurs, la tonalité dominante est nostalgique. Autrefois les joueurs étaient attachés à un club, collés à ses couleurs, motivés à en défendre les chances. Aujourd'hui, tous des mercenaires ! Plutôt que de gloser sur la supposée loyauté au maillot, les supporters, dont la propension est de glorifier, dans des ambiances surchauffées, la fusion joueur-club-ville, devraient pousser à la revitalisation d'un cachet, d'une identité de jeu constamment recréée jamais enkystée.
«Passes courtes, redoublements, recherche de la largeur maximale, culte de la possession du ballon par hypothèse que la meilleure défense est encore d'en priver l'adversaire, qualité technique des défenseurs promus premiers passeurs, attaquant-type vif, insaisissable ». On reconnaît la touche d'une équipe dont la prestance, pendant des décennies, lui a valu, dans un bel unanimisme, fort rare compte tenu des crispations en vogue, le surnom «de Juventus», synonyme d'une identité de jeu composite, redynamisée plutôt qu'héritée. Et ça change tout.