Le président de, la République est un homme seul; trop coupé de la masse des citoyens. Un ancien diplomate; Raoul Bertrand, imaginait. un jour que l'on pourrait ressusciter le placet au roi» sans encombrer le pouvoir. De petits, ordinateurs, municipaux reliés à un central élyséen permettraient le classement, le traitement et expédition instantanée des suggestions du bon peuple. La « puce. » asticoteuse, réclamée jadis par l'abbé Pierre, serait physiquement présente, et la « démocratie directe», vouée aux cantons suisses, s'infiltrerait dans nos institutions.
Parmi toutes ses vertus, la micro-informatique a celle, on le voit..., d'asticoter l'imagination. Ce n'est pas la moindre. Peu d'experts de la Silicon Valley avaient sans doute pensé à cette explosion d'un phénomène de société grâce à la miniaturisation de l'informatique. Maintenant, les faits sont là;troublants, passionnants, éclatants. Cette brochure, dont la plupart des articles sont originaux, les autres ayant déjà été publiés dans le Monde, a pour ambition de rendre le lecteur sensible à ce phénomène. Dans tous les compartiments du jeu de la production, comme diraient ;les chroniqueurs sportifs, les claviers et les écrans sont là. A domicile ils arrivent et interfèrent dans les relations intra familiales.
Les jeunes ont trouvé là un océan de rêves. Sans doute la multiplication des jeux, grâce aux combinaisons des logiciels de divertissement, n'a pas été, étrangère à cet engouement de la génération montante. Quand on peut suivant son humeur se transformer en capitaine de sous marin affrontant un torpilleur, en shérif à la recherche du méchant cow-boy, en astronaute découvrant des planètes étranges, etc., comment n'irait on pas vers les petites ou plus grosses boîtes magiques ?
Mais les, adolescents trouvent d'autres réponses dans des micro-ordinateurs, comme le prouve à paris le banc d'essai installé par M. Jean Servan Schreiber. Ils apprennent à domestiquer un engin d'une extraordinaire souplesse, qui peut les aider à comprendre mieux les subtilités de la grammaire française ou l'extraction d'une racine carrée. Et comme la motivation est très forte, ils sont souvent familiarisés plus vite que les adultes avec ce « partenaire» obligeant. Nous arrivons ainsi, à cette nouvelle étape de l'éducation annoncée jadis par Margaret Mead, celle où les enfants apprennent à leurs parents (en l'occurrence à se servir des nouvelles machines).
Des « Fanas » de la micro informatique n'ont pu rester chez eux à attendre le .message d'un autre amateur: ils ont fondé, des clubs et ont échangé leurs expériences de programmation, leurs vues sur les performances de leurs consoles, et l'on parle de «bits» et d'«octets» comme jadis de chevaux vapeur à propos d'une «belle américaine».
Les professionnels sont plus blasés. Il y a déjà un certain temps qu'ils ont découvert les prouesses que pouvaient leur faire accomplir les ordinateurs dans la gestion, la comptabilité, etc. Mais à mesure que la taille et le prix de ces machines décroissaient, des entreprises de plus en plus petites étaient conquises par elles, qu il s'agisse de l'agriculture, de l'industrie ou des services. Du coup, les associations, les établissements d'enseignement, les médecins, etc., s'y mettaient aussi. Un tel appétit des .consommateurs en donnait aux producteurs. Curieusement, les plus gros. ne furent pas les plus gourmands dans un premier temps. I.B.M. regarda tout ce tohubohu avec une certaine distance avant de se lancer sur ce marché, pendant que quelques ingénieurs surexcités, américain d'abord puis, japonais, groupés dans l'arrière salle d'un laboratoire ou le garage d'un pavillon, construisaient un, deux trois prototypes de micro ordinateurs et faisaient fortune en commercialisant très vite leur produit. La preuve était faite que I'on avait non seulement apprivoisé très vite ces petits êtres du « règne machinal », : mais aussi la manière de les créer.
La boucle est bouclée. La pastille de silicium, la fameuse « puce », n'a pas fini de démanger les esprits. De nouveaux matériels, encore plus petits on. pense au « ciron» de Blaise Pascal, encore plus performants, vont apparaître. Les utilisateurs dans les pays industrialisée et dans le tiers monde, vont se multiplier. La puissance du traitement de l'information par centimètre cube de mémoire a augmenté d'un milliard de fois en trente ans. Les Etats Unis produisent actuellement plus d'un million de microprocesseurs par jour. Des chiffres qui donnent le vertige. Comme l'écrivait le professeur Madhi Elmandjara : « Le capital n'est plus la source de développement et de pouvoir qu'il fut. L'information prendra sa place dans les sociétés post-industrielles, comme !e capital avait pris la place des ressources naturelles il y a deux cents ans. »
La mutation est d'envergure. Encore faut il qu'elle s'accomplisse en préservant ce « sel de la terre » qu'est la liberté individuelle, et que la logique des machines .ne triomphe pas. Il y a moins de risque avec la poussière de rnicro-ordinateurs : la décentralisation du « pouvoir informatique » est en marche.
Il est une autre façon d'exorciser les maléfices de cette technologie nouvelle, c'est de mieux diffuser l'enseignement de l'informatique. A cet égard, la France a d'immenses progrès à réaliser. Le rapport récemment adressé par M. Maurice Nivat à MM. Laurent Fabius, ministre de l'industrie et de la recherche, et Alain Savary, ministre de l'éducation .nationale, est, à cet égard, alarmant: carence d'enseignants, de chercheurs, de disponibilités en matériel informatique. « Comment as t on pu laisser se créer une situation, écrit l'auteur, où les deux universités, scientifiques de Paris Centre disposent de moins de, moyens que le collège presbytérien die Jamestown dans le Dakota du Nord? »
C'est, en fait, l'Europe entière qui doit se reprendre si elle ne veut pas rater complètement la « troisième révolution technologique ». La première firme de composants du Vieux Monde est la onzième à l'échelle de la planète! La «puce» ne nous laissera pas en paix. Heureusement!. Nous : étions en train de nous endormir sur le mol oreiller de l'histoire.
PIERRE DROUIN. La Micro Informatique septembre 1983 (c) Webmanagercenter - Management & Nouvelles Technologies -30/04/2004 à 17:30