Mardi 19 janvier 2010, le président Donald Kabéruka organisait le rituel «déjeuner des ambassadeurs». A ce rendez-vous annuel sont conviés les représentants des pays membres ainsi que les ambassadeurs des pays donateurs. Sont conviés également les représentants des institutions multilatérales, tels le FMI et la BM. La Tunisie était représentée à ce déjeuner par M. Mohamed Nouri Jouini, ministre du Développement et de la Coopération internationale, ainsi que M. Abdelhafidh Herguam, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé des Affaires maghrébines, arabes et africaines A cette occasion, M. Kaberuka a développé trois thèmes : les péripéties de 2009, les perspectives de 2010 et la nouvelle vision de la Banque pour son rôle de principal bailleur de fonds. Le pari sur le futur Il y a à peine trois ans, la Banque avait constitué un panel de Haut niveau encadré par le professeur Joseph Stiglitz à l'effet de se pencher sur la nature de ses engagements en faveur du «décollage» collectif du Continent. Deux dates avaient été mises en avant. Il y a d'abord 2015, date butoir retenue par la CNUCED pour l'atteinte des Objectifs du Millénaire. Et 2030, horizon selon lequel la population africaine devait rattraper celle de la Chine. Alors une course contre la montre fut engagée par la Grande Dame de la tour d'Argent de la Rue Hédi Nouira (Siège temporaire de la BAD à Tunis), qui voyait que le temps lui était compté et qui se propose d'être le compagnon de bonne fortune pour le développement sur cette Afrique aux contrastes révoltants. Un univers de richesses, en sou-sol, et un environnement juché d'inégalités et défiguré par la pauvreté. Par conséquent, la BAD se lance le défi de fertiliser l'espace continental pour en faire un périmètre attractif pour les investisseurs, y compris internationaux. Mais dans l'intervalle, la crise est survenue. Elle a lourdement impacté les plans de la Banque parce qu'elle a fragilisé un bon nombre de pays africains, reléguant les objectifs de croissance en objectifs de second plan. L'urgence est dans la riposte à la crise. Mais malgré tout, la Banque n'a pas dévié et fait front ci et là. 2009 une année plutôt maussade Le Président Kabéruka le dira avec une certaine amertume, mais sans défaitisme. Les flux ont sensiblement chuté. Il y a eu en 2009 moins de transferts d'économie sur salaires, moins de touristes, moins d'export. N'étant pas beaucoup intégrée au système financier international, l'Afrique a pu esquiver la crise financière, mais la dépression l'a affectée de plein fouet. Les clignotants étant au rouge, il y a eu disette économique. Les exportations de matières premières ont baissé. Les cours mondiaux se sont beaucoup assagis et ceux des produits alimentaires ne se sont pas affaissés. L'équation s'est compliquée. Moins de recettes et plus de charges. Les finances publiques de beaucoup d'Etats africains sont mises à mal. Il faut préserver la marche vers le développement et protéger la paix sociale tout en poursuivant le processus de transition, dans ces pays. Un exercice d'équilibrisme qui peut être périlleux si la BAD n'assure pas la soudure financière dans l'urgence. Le bilan dressé rapidement par le président de la BAD était mitigé. Un groupe de 22 pays a pu réaliser un taux de croissance supérieur au croit démographique, un autre moins important a fait jeu égal et les autres, les moins bien lotis, ont fait moins que le taux de croissance naturel, donc un solde négatif. Debout, l'accent «Churchillien», M. Kaberuka plaidera la cause du Continent en présence des ambassadeurs des grandes puissances réunis à sa table. Bataille décisive, pour une cause légitime. Une mission délicate La BAD a fait face. La première manche a été gagnée. Elle a, contre vents et marées, reconduit son rating prestigieux. Elle est triple A. Sa signature est son meilleur fonds de commerce. C'est son arme fatale. Dans son speach, le président de la Banque y reviendra plus d'une fois. On prend dès lors que la Banque se montre soucieuse de ses indicateurs de gestion. Pour ce Continent mal doté, elle doit être la banque qui délivre de la performance et sécurise les investisseurs. Elle a réussi l'exploit de lever des fonds sur le marché international au taux du Libor majoré d'à peine 9 points de base, soit Libor +0,09%. Une prouesse ! Financer le développement au taux du court terme est un exploit. Il a bien fallu triompher de la résistance des investisseurs qui demandaient davantage. Mais la Banque a eu le dernier mot. Fin tacticien, M. Kaberuka se servira de cette prouesse pour mettre en condition les ambassadeurs des grandes puissances qui sont des importants donateurs. Il préparait le terrain, pour ses plans de développement futurs. La Banque envisage d'augmenter son capital, car son ratio de structure est saturé. Il faudra donc solliciter les pays membres pour souscrire et les pays donateurs pour augmenter leurs contributions. Et pour tout éventuel gap de financement, la Banque en appellera à la solidarité de pays amis. Dès la fin du mois de janvier, le président Kabéruka prendra son bâton de pèlerin et ira solliciter les autorités de Pékin pour une contribution. De même que le Japon. Il pense rassembler le maximum de ressources pour les financements d'infrastructures si déterminants dans la dynamisation de la croissance et l'attrait des IDE. Malgré la crise, il a du beau jeu parce que la Chine est intéressée par la consolidation de sa position en Afrique et ce serait conséquent qu'elle prenne part à sa prospérité. En réalité la partie paraît jouable car la signature de la BAD est une couverture de solvabilité pour le continent. Et c'est une belle source de fierté pour le continent. Et, de prospérité.