C'est extraordinaire comment un vote, censé trancher un litige et clarifier une situation, peut devenir un blocage supplémentaire dans une situation déjà congestionnée. Le vote de la motion de censure contre Rached Ghannouchi, jeudi dernier n'a pas réussi à départager les deux camps au sein de l'ARP. Au contraire, il a renforcé la ligne de démarcation entre les islamistes et leurs acolytes d'un côté et les autres blocs parlementaires de l'autre. Au final, ce vote n'a fait que des perdants, à commencer par l'éthique politique dans le pays. Ceux qui ont présenté cette motion n'ont récolté que 97 voix. Ils ont raté leur objectif et manqué leur coup pour douze petites voix. Mais peu importe, ils ont échoué à récolter les voix nécessaires en faveur de leur motion. En politique, seul le résultat compte. Ils n'avaient qu'à mieux construire leur projet, prendre le temps de discuter et convaincre leurs partenaires, élargir le cercle des alliés et afficher un minimum de solidarité et de cohésion. Or, en aucun moment, le clan qui a présenté la motion de censure n'a donné l'impression qu'il était uni et solidaire dans sa démarche. Dés l'annonce du résultat final du vote, les chamailleries entres les différentes composantes de cette alliance anti islamiste a repris de plus belle. Par points de presse interposés, ils ont commencé à se disputer une victoire qui n'en est pas une. Il est évident que l'expérience des dernières semaines, au lieu de tisser des liens entre les blocs parlementaires qui soutiennent la motion de censure contre Ghannouchi, n'a fait qu'augmenter la suspicion entre eux et élargir le gouffre qui les sépare. En définitive, le bloc anti islamiste au sein de l'ARP a montré ses limites. Il est incapable de s'unir autour d'un objectif, avance en rangs dispersés et souffre outrageusement du syndrome du chef. Hier, comme aujourd'hui, ce clan moderniste, démocratique, libéral, progressiste, etc…n'arrive pas de se défaire de ses démons de toujours : la division. Les causes défendues par ce clan peuvent être justes, mais il les perdra toutes. Dans la configuration actuelle du moins. Dans l'autre camp, celui des islamistes et de leurs acolytes, les choses ne vont guère mieux. La motion de censure contre leur chef a échoué et Ghannouchi peut rester à son poste de président de l'ARP. Mais il n'y a pas lieu de fêter un échec comme s'il s'agissait d'une victoire. Pour eux, ce qu'il faut retenir de ce vote, c'est que 97 députés sont insatisfaits de la prestation de Ghannouchi, que 16 députés seulement lui sont favorables et que même s'il a réussi à se maintenir à son poste de président, son siège est désormais dangereusement vacillant. Pour peu qu'on soit objectif et honnête, il est aisé de constater que parmi tous ses prédécesseurs, Ghannouchi est le pire président du parlement depuis la révolution. Même son compagnon Abdelfettah Mourou, premier vice président de l'ARP sortante, avec ses manières théâtrales, parfois folkloriques, faisait meilleure mine que lui. Sur un plan personnel et éthique, après ce vote, Ghannouchi est dans l'incapacité de continuer à présider le parlement. Il sera exposé lors de chaque séance qu'il présidera aux attaques et aux critiques de ses détracteurs qui lui rendront sa mission impossible. D'ailleurs, il est peut-être temps pour lui de s'isoler de sa cour, loin des opportunistes qui l'entourent pour se demander sereinement, pourquoi selon tous les sondages d'opinion concordants depuis des années, les Tunisiens le classent parmi les personnalités politiques les plus haies du pays ? Pourquoi ils ne lui font pas confiance ? Seulement Ghannouchi a-t-il le courage de le faire ?