Face aux inquiétudes suscitées par le projet de loi de finances complémentaire 2020, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'appui à l'Investissement, Ali Kooli, est forcément monté au créneau pour défendre son projet. A-t-il convaincu pour autant ? Il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Disons franchement qu'il a botté en touche. Il a préféré stigmatiser les experts qui ont osé parler de faillite des finances publiques, les qualifiant d'« irresponsables » tout en les invitant à lire plus attentivement les données budgétaires avant de porter un jugement aussi funeste. Il a préféré critiquer l'attitude de la Banque centrale de Tunisie (BCT) sur sa réticence à aller plus loin dans le financement du déficit budgétaire qu'affichera le gouvernement, à 12,4% du PIB. Certes, il a rappelé que l'impact de la pandémie sur l'activité socioéconomique a provoqué un véritable effondrement des ressources propres du budget, avec un manque à gagner sur les prévisions de l'ordre de 6 milliards de dinars. Ce qui, toute chose étant égale par ailleurs, aurait creusé le déficit budgétaire, le faisant plus que doubler puisqu'il passerait ainsi de 3,6 milliards de dinars à environ 9,5 milliards de dinars.
En revanche, Ali Kooli n'a pas trop voulu s'étendre sur l'explosion des dépenses, de plus de 4,5 milliards de dinars par rapport à ce qui était prévu par la loi de finances initiale. Or, c'est cet aspect de la gestion budgétaire qui laisse dubitatif. Sur ces colonnes, on s'était interrogé sur les raisons qui ont amené le gouvernement à se préoccuper de la situation financière de ses fournisseurs publics à un moment où il avouait lui-même avoir d'énormes difficultés de trésorerie pour répondre à toutes les attentes nées de la pandémie. Et de mobiliser pour cela trois fois plus que ce qu'il a daigné consentir comme dépenses pour faire face à l'impact socioéconomique de la pandémie.
Finalement, il est heureux que le gouvernement ait accepté de revoir sa copie. De toute façon, le budget de l'Etat 2020 sera bouclé, car chacun y mettra du sien, le gouvernement en réduisant ses dépenses et la BCT en mettant la main à la poche tout en espérant que cet argent ne relancera pas inconsidérément l'inflation, ni ne dégradera outre-mesure la valeur de la monnaie nationale, ni ne réduira sensiblement le stock de devises.
Cependant, on n'est pas sorti de l'auberge pour autant. Car le projet de loi de finances et de budget de l'Etat pour l'exercice 2021 est susceptible de relancer le débat. En effet, à la lecture du projet de budget 2021, il ne semble pas que le gouvernement ait considéré la crise des finances publiques vécue cette année comme une parenthèse, un phénomène exceptionnel l'ayant traversé qui exigeait une riposte exceptionnelle. Alors qu'il devrait connaitre une envolée inédite de plus de 22% en 2020 par rapport à 2019, le budget de l'Etat va enregistrer une augmentation de 2% en 2021 par rapport à 2020, mais de près de 25% en deux ans. Dans ce sens, on aurait pu s'attendre à une baisse significative des dépenses. Celle-ci conjuguée à une relative augmentation des recettes fiscales conséquente à la timide reprise attendue de la croissance économique devrait permettre de réduire sensiblement le déficit budgétaire. Il faudra déchanter. Le budget de l'Etat devrait accuser un déficit de 7,3% du PIB en 2021. Ce sont 8 milliards de dinars qui viendront s'ajouter à l'encours de la dette publique. En fait, l'Etat devrait emprunter l'année prochaine plus de 19,5 milliards de dinars pour combler ce déficit et honorer une partie du service de la dette qui atteindrait l'année prochaine environ 16 milliards de dinars entre intérêt et principal contre seulement 11,8 milliards de dinars en 2020.
Le plus curieux, à ce propos, c'est que sur ces 19,5 milliards de dinars d'emprunts, plus de 10 milliards de dinars devraient provenir d'émissions d'obligations d'Etat sur les marchés internationaux de capitaux. Ces marchés que le gouvernement n'a pas voulu solliciter en 2020 parce que cela coûterait trop cher. La signature de la Tunisie va-t-elle gagner du crédit sur ces marchés l'année prochaine ? Rien n'est moins sûr. D'autant que la masse salariale dans le budget de l'Etat va encore augmenter de plus d'un milliard de dinars supplémentaires l'année pour dépasser 20 milliards de dinars ou 16,6% du PIB ou encore 61% des ressources propres du budget. Tandis que de l'autre côté, le budget d'investissement dépasserait à peine les 7 milliards de dinars dont seulement 4 milliards d'investissement direct et le reste à mettre sur le compte de saupoudrage de multiples programmes dits de développement.
Lors de sa déclaration d'investiture, Hichem Mechichi s'est assigné comme priorité absolue l'arrêt de la dérive des finances publiques. A l'épreuve des données, cela semble loin d'être le cas.