Depuis quelques jours, les rumeurs se sont accélérées concernant un remaniement ministériel. Des listes supposées de personnalités « ministrables » se succèdent, notamment sur les réseaux sociaux. Bien entendu, ces fuites ne reposent sur aucune source fiable et les affirmations concernant l'imminence de l'annonce de ce remaniement ne reposent sur aucun indice probant, sauf peut-être une récente déclaration du président du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi. Un coup d'œil rapide et voyeuriste sur ces listes renseigne pourtant sur l'état d'esprit qui domine dans le pays et sur une tendance générale qui repose sur trois éléments essentiels. Le premier est que le prochain remaniement fera du gouvernement Mechichi 2, un gouvernement Habib Jamli sans Habib Jamli. Les noms fuités des « ministrables » rappellent étrangement la composition du gouvernement éconduit par l'ARP. Cette impression est même confortée par les dernières nominations à la tête d'entreprises publiques, notamment au niveau de la direction de Tunisair. Le second élément est que la rupture entre le président de la république Kaïs Saïed et le chef de gouvernement Hichem Mechichi est définitive et consommée. Le limogeage bruyant et ostentatoire du ministre de l'Intérieur, les déclarations de Mechichi pour expliquer ce limogeage allant jusqu'à parler de tentatives de perturbation et d'infiltration de l'institution sécuritaire, mettant directement en cause la présidence de la République, sont autant d'indices qui corroborent la thèse de la rupture. Enfin, le troisième élément est en rapport avec l'alliance entre Mechichi et la nouvelle Troïka, composée d'Ennahdha, la coalition Al Karama et Qalb Tounes malgré les déboires de son président. Beaucoup considèrent que cette alliance est définitivement scellée. Ils sont convaincus que le chef de gouvernement a choisi, depuis longtemps déjà, de renoncer à son statut de technocrate indépendant. Il a décidé de tomber dans les bras des islamistes et de leurs alliés pour garantir à son gouvernement une ceinture parlementaire et se garantir une longévité politique qu'il ne pourrait assurer avec le seul soutien de Carthage.
Mais tout cela n'est, pour le moment, que supputations, rumeurs et parfois fantasmes. Cela ne remet pas en cause la nécessité d'opérer un remaniement ministériel d'une manière urgente. Mais l'évaluation de ce remaniement ne peut se faire que sur la base de deux orientations très différentes qui auront forcément des répercussions différentes sur la scène politique et sur le pays.
La première orientation concernerait un remaniement très partiel qui ne toucherait que les postes déjà vacants, soit le ministère de la Culture et le ministère de l'Intérieur. Auquel cas, le remaniement serait largement justifié parce qu'il est impensable qu'un ministère régalien de l'importance de celui de l'Intérieur soit géré par intérim, même si c'est le chef du gouvernement lui-même qui se propose d'assurer cet intérim. La situation sécuritaire étant précaire à cause des risques terroristes bien entendu, mais aussi à cause de la recrudescence du crime et des contraintes du couvre-feu, elle nécessite une attention et un engagement à plein temps et non une supervision par intermittence. En plus, il était clair que la gestion par intérim du ministère de la Culture n'a strictement rien apporté au département, tout en affectant, très probablement, d'une manière négative celui du Tourisme.
Par contre, la seconde orientation qui consiste à opérer un profond remaniement qui toucherait plusieurs départements à la fois, serait inopportune pour plusieurs raisons. La première, est que le pays est sur le point d'entrer dans un nouveau round du dialogue national dont on ne connait pas les conclusions. Le gouvernement, quel qu'il soit, sera dans l'obligation de prendre en compte les conclusions de ce dialogue national et de s'y adapter même au prix d'une refonte structurelle du gouvernement. Il serait donc plus judicieux de patienter et ne pas prendre des mesures maintenant qui pourraient s'avérer, sous peu, inopérantes et inefficaces. La seconde raison qui pousse à la méfiance quant à un remaniement d'envergure est que ce genre de remaniement nécessite une évaluation profonde de la compétence et du rendement des différents membres actuels du gouvernement. Il s'avère que le rendement de plusieurs ministres, plus nombreux que les cinq ou six qui seront « sacrifiés » pour satisfaire un nouvel équilibre et de nouvelles alliances politiques, est très en-deçà des attentes et des espérances. Le chef du gouvernement lui-même ne sortirait pas indemne d'une évaluation objective de son rendement, tant il manque de leadership et accumule les lacunes dans la gestion des différents dossiers brulants sur le plan économique, social et sanitaire.