La crise politique actuelle perdure et rien, dans l'état actuel de la situation, ne présage de sa fin. Plus de trois semaines après le vote de confiance du gouvernement Mechichi II, les onze nouveaux ministres n'ont toujours pas prêté serment. Le chef du gouvernement est braqué dans sa position, il refuse de limoger les quatre ministres suspectés, d'après le président de la République, de corruption et de conflit d'intérêt. Le président de la République est braqué lui aussi dans sa position, il refuse d'être témoin d'un parjure. Plusieurs solutions sont mises sur la table et on en trouve parmi les plus fantaisistes. D'après le député Mustapha Ben Ahmed, on songerait à ce que les ministres prêtent serment à la mosquée Zitouna ou au mausolée Sidi Mehrez ! Pendant ce temps-là, et en parallèle de cette crise politique qui touche les deux têtes de l'exécutif, une motion de censure est en train de se préparer contre le président du parlement et président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi. A lire également Nasfi : La motion de censure contre Ghannouchi sera déposée après avoir réuni 109 signatures Ce dernier prend cette histoire très au sérieux et c'est sa hantise. Il sait qu'il est détesté et il ne fait aucune confiance à ses députés qu'il sait capables de le déloger. Loin de tout le tohu bohu, il est en train de réfléchir à une solution qui résoudrait tous les problèmes à la fois. Il est en train de la préparer loin de son parti, le temps de la peaufiner. Il en a parlé déjà avec plusieurs responsables de partis et son idée commence à faire son chemin et à s'ébruiter. Une fois cette solution mûrie, il va l'exposer au camp adverse de son parti puis d'une manière officielle à tous les autres partis. Il compte, dans la foulée, mettre Kaïs Saïed au pied du mur puisque, dans sa tête, le président de la République ne saurait refuser une solution approuvée par une majorité parlementaire. A lire également Crise politique : Le chef de l'Etat souhaite la mise en place d'un nouveau gouvernement
Concrètement, Rached Ghannouchi entend actionner l'article 97 de la Constitution. Celui-ci dispose de ce qui suit : « Une motion de censure peut être votée contre le Gouvernement, suite à une demande motivée, présentée au Président de l'Assemblée des représentants du peuple par au moins le tiers de ses membres. La motion de censure ne peut être votée qu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de son dépôt auprès de la présidence de l'Assemblée. Le retrait de confiance au Gouvernement requiert l'approbation de la majorité absolue des membres de l'Assemblée et la présentation d'un candidat en remplacement du Chef du Gouvernement dont la candidature doit être approuvée lors du même vote et que le Président de la République charge de former un Gouvernement, conformément aux dispositions de l'article 89 ».
Rached Ghannouchi doit donc résoudre trois points en même temps : réunir 73 signatures pour le dépôt de la motion de censure, trouver le candidat successeur à Hichem Mechichi puisque ce candidat doit être présenté et approuvé le jour même du vote de la motion de censure, puis trouver 109 voix pour approuver la motion de censure et approuver le nom du candidat successeur. Le premier point est facile à remplir. Le deuxième point est au stade de la réflexion et, d'après l'entourage de Ghannouchi qui est en train de vendre l'idée aux autres partis, il n'y a pas beaucoup de candidats au portillon. Ce qu'il propose, c'est que ce candidat soit proposé par Qalb Tounes. Trois noms sont chuchotés. Hichem Mechichi qui succèderait à lui-même. Kaïs Saïed sera ainsi mis au pied du mur et ne pourra plus refuser la prestation de serment de tout un gouvernement fraîchement approuvé par le Parlement. A lire également Mongi Rahoui : C'est Rached Ghannouchi qui a encouragé Mechichi à faire du forcing ! Les deux autres noms ont le mérite d'être consensuels et d'avoir été déjà approuvés par les partis, à savoir Fadhel Abdelkefi et Hakim Ben Hammouda. Rien, à ce stade ne dit que MM. Abdelkéfi et Ben Hammouda vont accepter la proposition et il n'y a absolument rien d'officiel ou de définitif à cet instant. Pour résoudre le troisième point et réunir les 109 voix, Rached Ghannouchi entend créer une sorte de large ceinture parlementaire autour de ce nouveau gouvernement. Il propose la stabilité et le sauvetage du pays et va proposer une série de portefeuilles à tous les blocs parlementaires qui acceptent de le soutenir et voter le jour de la motion de censure/vote de confiance. Dans la foulée, Rached Ghannouchi n'entend pas humilier Hichem Mechichi si l'option de sa reconduction n'est pas retenue. Il lui a prouvé sa loyauté dans son bras de fer contre Kaïs Saïed et Ghannouchi entend le placer à la tête du ministère de l'Intérieur, d'un autre ministère régalien ou d'une ambassade importante. A lire également Mekki : Mechichi est l'exécutant de Ghannouchi !
A ce jour, ce plan est en train d'être peaufiné et on n'a pas idée de tous ses recoins. Un chef du gouvernement consensuel accepté par plus de 109 députés, ce n'est pas une tâche facile, mais ce n'est pas une tâche impossible non plus surtout si le candidat est consensuel comme Abdelkefi ou Ben Hammouda qui ont le mérite d'avoir été tous les deux proposés par les partis il y a un an avant que Kaïs Saïed ne parachute le nom d'Elyes Fakhfakh puis celui de Hichem Mechichi. Quoi qu'il en soit et quel que soit le nom, Rached Ghannouchi réussit, avec son idée, plusieurs coups à la fois. Il reprend la main sur le gouvernement d'une manière officielle et définitive, il isole le président de la République et il sauve sa peau menacée d'une motion de censure. Ce plan, s'il est approuvé par la ceinture parlementaire que Ghannouchi est en train de former, verra le jour à partir du 1er mars, dead line fixé par le président du parlement. Si, à cette date, le conflit entre Kaïs Saïed et Hichem Mechichi n'est pas résolu, il fait déposer la motion de censure contre le gouvernement. R.B.H