Au cours de cette semaine, le « peuple » est sorti dans la rue à deux reprises à Agareb et au Bardo. Pour être vrai, on dira que ce n'est pas tout le peuple mais seulement une partie du peuple. Seulement, dans ces deux villes, les manifestants étaient suffisamment nombreux pour en parler dans la rubrique politique des médias nationaux et étrangers et non dans la rubrique des faits divers. Les événements d'Agareb en cours de semaine et ceux du Bardo ce dimanche n'ont aucun rapport entre eux. Le premier a un caractère social, écologique et sanitaire. Le second a un aspect strictement politique. Mais les deux événements véhiculent paradoxalement le même message : Celui d'une colère à peine contrôlée et d'un ras-le-bol de plus en plus bruyant et visible qui pourrait dégénérer à tout instant.
Après à peine quinze semaines de l'annonce du président Kaïs Saïed de l'activation de l'article 80 de la constitution et l'accaparation de tous les pouvoirs exécutifs et législatifs, il parait que l'auréole qui entourait la tête du sauveur Kaïs Saïed le soir du 25 juillet commence à se dissiper. Il semble fort même, que l'état d'exception instauré depuis, sans aucune feuille de route qui pourrait indiquer la fin de cette situation d'exception, perd de son attractivité de départ et montre des signes d'essoufflement.
A Agareb, en décidant d'une manière unilatérale la réouverture de la déchèterie d'El Gouna, Kaïs Saïed a tenté un passage en force qui s'est avéré improductif. Il a essayé de régler le problème des déchets ménagers qui s'accumulaient dans les rues de la ville de Sfax depuis plus de quarante jours au détriment de la ville d'Agareb qui avait milité, négocié et obtenu par ordonnance judiciaire la fermeture de la déchèterie créée en 2008 pour uniquement une période de cinq ans au départ. Après coup, on se demande si le problème des ordures ménagères de Sfax aurait eu une telle ampleur s'il y avait un gouverneur en exercice à Sfax, si le poste de gouverneur de la deuxième ville du pays n'était pas vacant depuis le mois d'aout dernier. Avec une administration régionale étêtée et un président de conseil municipal incompétent, la région de Sfax était condamnée à vivre ce drame. Ce n'était qu'une question de temps. Les membres du club fan du président peuvent toujours avancer que le problème des déchèteries est un problème ancien qui n'a jamais été réglé. Seulement, dans tous les domaines, surtout en politique, il est bien connu que c'est le dernier qui aura à payer la note. En recevant uniquement le ministre de l'Intérieur, il était clair que le président n'avait que la solution sécuritaire à proposer, ce qui a exacerbé les tensions à Agareb et contraint le locataire de Carthage à un rétropédalage peu glorieux.
Au Bardo ce dimanche, des militants politiques se sont donné rendez-vous pour manifester leur opposition au président de la république accusé d'être un usurpateur et d'avoir manigancé un coup d'Etat. Parmi eux, il y a beaucoup d'islamistes et leurs acolytes. Mais pas seulement, car il y avait aussi beaucoup de démocrates, qui n'ont rien à voir avec les islamistes mais qui ont peur pour le pays, qui ont de plus en plus peur de Kaïs Saïed. Parmi eux aussi, il y avait quelques uns, des jeunes, qui dissimulaient des armes blanches et des cocktails Molotov. Mais ces casseurs ne sont pas les plus nombreux et ils se retrouvent dans toutes les manifestations, même celles de soutien au président. Encore une fois, pour toute réponse, le pouvoir en place propose une option sécuritaire avec des petites manœuvres archaïques, venues d'un autre âge. Il n'a ni le courage d'interdire la manifestation, ni la magnanimité de la laisser se dérouler normalement. Comme à son habitude depuis plus de trois mois, il est indécis, hésitant, frémissant, ce qui fait le jeu et le bonheur des islamistes et élargit le cercle de ses détracteurs.