Lors de sa nomination dans le premier gouvernement Chahed, il avait été présenté comme un technocrate issu du monde de l'entreprise. Avec près de vingt-cinq ans d'expérience dans le monde financier, il était censé apporter une expertise technique et une connaissance des problèmes des opérateurs économiques. En charge de la Coopération Internationale et du Développement, M. Abdelkefi devait mettre au profit de l'Etat tunisien son expérience du deal-making et une grande capacité de négociation avec les bailleurs internationaux. Si Tunisia 2020 a été une vraie réussite, dont on attend toujours les résultats - la faute à des blocages administratifs innombrables, M. Abdelkefi ne s'était jamais réellement départi de son image de technocrate froid. Après sa proposition en tant que chef du gouvernement, que Kaïs Saïed a refusé avec les résultats que l'on connaît, il s'est lancé dans le bain de la politique avec la prise d'Afek Tounes. Les premières sorties médiatiques nous ont fait découvrir un homme très au fait des dossiers de fond, mais peu à l'aise avec le verbiage politique du landerneau tunisien. Loin de chercher le buzz à chaque sortie, il dressait inlassablement le même constat tout en gardant un certain sens de la mesure. Répondant toujours aux questions posées, même les plus délicates (notamment dans son rapport à Qalb Tounes ou Nabil Karoui), les dernières sorties médiatiques montrent néanmoins un virage dans son expression. Fadhel Abdelkefi semble s'être affranchi de certaines réserves, par calcul ou par prudence, il avait toujours veillé à ne pas franchir certaines « lignes rouges ». Dernièrement pourtant, il s'est montré d'une cruelle ironie au sujet de l'UGTT en demandant simplement que les recettes qui ont maintenu la centrale syndicale à flot soient appliquées à l'Etat tunisien. Partenariat public-privé au sein de la mutuelle syndicale, baisse des charges d'exploitation de la centrale, location des biens immobiliers à des acteurs privés, bref une politique dont l'UGTT entend priver l'Etat tunisien tout en l'appliquant consciencieusement à ses ouailles.
« Je suis fatigué et attristé », c'est par cette formule toute en litote que Fadhel Abdelkefi a amorcé cette nouvelle manière de communiquer. S'il ne donne pas dans le détail les causes de cette fatigue et de cette tristesse, nul doute qu'au-delà du diagnostic juste et sombre qu'il dresse, c'est l'inanité et l'incompétence du personnel politique qu'il vise. « Nous avons tous les moyens de réussir et nous perdons notre temps », ce constat amère semble également s'adresser à lui-même.
Fadhel Abdelkefi pense-t-il avoir tous les moyens de réussir mais qu'il perd son temps à prendre des gants ? L'avenir nous confirmera si le virage pris ces derniers temps est une orientation définitive ou un simple dérapage chez un homme qui n'a pourtant pas l'habitude de faire les choses au hasard.