Le Parlement, rejeté par une grande majorité de Tunisiens, s'est réuni en plénière mercredi 30 mars 2022. Rejeté, honni, décrié, de façon à ce qu'à l'annonce des mesures du 25 juillet par le président de la République, le soulagement avait été au rendez-vous. Les députés sont de retour aujourd'hui, pour annuler les mesures présidentielles, disent-ils. Au-lendemain d'une visite de la sous-secrétaire d'Etat américaine à la démocratie et aux droits de l'Homme, l'opération de reprise du pouvoir par les parlementaires a été lancée. Exit Rached Ghannouchi de la présidence de la séance. La carte du chef islamiste étant très « brûlée ». Exit aussi la première vice-présidente, Samira Chaouachi, membre du parti Qalb Tounes dont le chef est actuellement dans la nature. C'est sur Tarek Fetiti, deuxième vice-président, « indépendant » qu'il y a eu consensus. Certains députés, qui ont appelé à une plénière pour contrer le président, ne voulaient toutefois pas se mouiller et en associant leur retour sur la scène à l'image du chef islamiste et des figures décriées par les Tunisiens. La manœuvre était en préparation depuis un bon moment. Il fallait tout juste choisir le bon timing, réunir le plus possible d'adhésions et s'assurer ses arrières. Un groupe d'une trentaine de députés non-islamistes avaient lancé un appel le 25 mars pour la tenue d'une plénière. L'idée est de mettre de côté les différends et les divisions dans le but de renverser l'hégémonie du chef de l'Etat et supprimer tout bonnement ses décisions post-25 juillet. Le jour même, Rached Ghannouchi, président du parlement pourtant gelé, convoque une réunion du bureau de l'ARP qui fixe la date de la plénière. La machine est mise en branle. Kaïs Saïed n'a d'autre choix que de regarder faire, lui qui a toujours refusé de dissoudre le parlement et s'est contenté de geler ses activités en conformité, d'après ses dires, avec la constitution. Certains s'attendaient à une action spectaculaire, notamment une assignation à résidence des instigateurs, mais le pouvoir a préféré faire dans le sournois/absurde en censurant l'application Zoom. Un projet de loi a été passé au voté : annulation de tous les décrets présidentiels promulgués après le 25 juillet, notamment celui relatif à la prorogation des mesures exceptionnelles, le décret 117 et celui instituant le Conseil supérieur provisoire de la magistrature. L'article deux du texte, dispose que la loi devra être publiée dans le Journal officiel et le site du parlement. Sauf que réellement, ce parlement n'a plus la main. Il a été écarté des cercles décisionnels. L'entourloupe trouvée est que la loi devra entrer en vigueur au moment du vote en plénière. Cependant, une loi ne devient loi que si on a les moyens de l'appliquer et le parlement n'en a aucun.
Pourquoi en sommes-nous arriver à ce point ? Que vaut concrètement cette action des parlementaires ? Qui sortira vainqueur de ce bras de fer institutionnel ? Pour les légalistes, l'ARP est dans son droit et a toute la légitimité pour renverser le président de la République celui-là même qui a accaparé le pouvoir et gelé l'assemblée dans une contorsion constitutionnelle. Pour les adversaires de Kais Saïed, il a failli, il n'a pas su assurer, la dégradation de la situation socio-économique et l'enlisement gouvernemental, sont l'occasion propice pour l'évincer. Pour tous les autres, une grande partie du peuple tunisien, même ceux très critiques à l'égard du président, il est impensable que ce parlement « détestable » reprenne les rênes, que ce parlement qui a échoué et qui a été, en grande partie, à l'origine de la crise décide de l'avenir du pays. Le choc des légitimités. Nous y sommes. Un parlement élu, gelé, qui proclame les décisions présidentielles caduques. Un président plébiscité qui a donné un coup de pied dans la fourmilière d'une scène politique délétère et délitée, menaçant de sévir contre un putsch des parlementaires. Que vaut donc cette manœuvre politique des élus ? Si l'on part du fait qu'ils aient la légitimité, on pourrait considérer que toutes les démarches présidentielles n'ont plus lieu d'être, que le gouvernement est déchu, à titre d'exemple. Cependant, ils n'ont pas la latitude d'appliquer cette loi. Mais cette démarche constituera pour eux un fort moyen de pression sur le chef de l'Etat et un faire-valoir vis-à-vis des puissances étrangères. Le but qu'ils cherchent à atteindre est d'imposer désormais leur tempo politique en mettant sur la table la nécessité d'un dialogue avec leurs propres conditions. Des conditions clairement explicitées dans le communiqué des 27, notamment l'organisations d'élections législatives anticipées, mais aussi présidentielle. Ce que Kais Saïed n'envisage aucunement, pas avant qu'il ne fasse son référendum constitutionnel et sa réforme du code électoral.
Le danger de cette manœuvre serait l'atomisation des fondements et de l'unité de l'Etat. Une déstabilisation qui viendrait anéantir des équilibres déjà précaires. L'image qui sera renvoyée aux partenaires étrangers est que la Tunisie traverse une crise constitutionnelle inextricable entre deux institutions qui se proclament légitimes sans possibilité de réconciliation. Dans cette lutte pour le pouvoir, parce qu'il ne s'agit que de cela dans les faits, quel que soit le camp qui remportera la partie, le pays en ressortira plus affaibli que jamais, le citoyen plus appauvri que jamais.