Mercredi 8 mars 2023, tard dans la nuit, le président Kaïs Saïed annonce la dissolution des conseils municipaux élus il y a moins de cinq ans. Après l'assemblée nationale, le chef de l'Etat fait passer une nouvelle fois les voix des citoyens à la trappe, lui qui répète tout le temps être à l'écoute du peuple. Paradoxalement, il convoque les députés à la première session du parlement, alors que celui-ci a été boycotté par 87% des électeurs, tout en annonçant de nouveaux décrets, alors que théoriquement c'est au nouveau parlement de légiférer. Théoriquement, si la démocratie tunisienne était respectée, il y aurait eu en mai prochain des élections municipales. À moins de trois mois de l'échéance, le président Kaïs Saïed surprend tout le monde en annonçant la dissolution des conseils municipaux. Des conseils élus en 2018 par plus de 1,9 million d'électeurs avec un taux de participation de 35,65%. Depuis son putsch du 25 juillet 2021, Kaïs Saïed agit comme unique maître à bord, comme si la Tunisie était sa ferme personnelle. Ce jour-là, il a décidé de son propre chef de geler l'assemblée nationale avec ses 217 députés. À la trappe les voix des 2,946 millions de citoyens qui ont élu cette assemblée avec un taux de participation de 41,7%. Quelques mois plus tard, en mars 2022, et bien qu'il ait lui-même admis que c'est anticonstitutionnel, il a décidé de dissoudre le parlement.
Quoique disent ses multiples défenseurs, Kaïs Saïed oppose un extraordinaire mépris au peuple et ses volontés. C'est lui qui décide pour tout le pays. Après avoir dissous le parlement, il a dressé un calendrier pour mettre en place une constitution (qu'il a rédigée tout seul) et des élections législatives. Peu importe la polémique et les inquiétudes étrangères, le chef de l'Etat a continué à agir comme si de rien n'était et comme s'il avait raison envers et contre tous. Le calendrier, collé à des dates nationales sans aucune raison logique, prévoyait la date du 25 juillet 2022 pour un référendum sur la nouvelle constitution. Première claque du peuple, le taux de participation a été de 30,5%. Un taux surestimé, selon plusieurs observateurs qui ont révélé plusieurs infractions, mais qui reste très bas au regard des précédents rendez-vous électoraux. Autre date du calendrier imposé par le président de la République, celle du 17 décembre 2022 avec les législatives. Ici aussi, le taux est très bas, un véritable record. 11,22% au premier tour et 11,4% au second tour. Le peuple a bien dit son mot, il a rejeté en masse les rendez-vous du président putschiste. Il sera inaudible.
Mercredi 8 mars 2023, le président se targue d'avoir respecté les dates qu'il a lui-même fixées et décide de renvoyer les conseils municipaux et les maires démocratiquement élus. Que valent les voix du peuple qui ont élu ces conseils ? Même pas des clopinettes, le président les a jetées toutes à la trappe. Dans les jours qui viennent, les citoyens vont se voir imposer de nouveaux maires (présidents de délégations spéciales officiellement) pour prendre la place des élus. Ils seront, sans aucun doute, du même acabit que les gouverneurs de Tunis ou de Ben Arous, c'est-à-dire des inexpérimentés dont la seule et unique qualité est d'être loyal au président de la République. L'occasion de placer des personnes proches, notamment celles qui ont échoué aux dernières législatives. Un cadeau en or pour ses fervents défenseurs, comme Ahmed Chaftar par exemple. Il vaut mieux, en effet, être président d'une délégation spéciale que simples députés parmi 161 autres.
Dans la foulée de ses décisions du 8 mars, le président a annoncé la convocation des députés à la première session du Parlement et l'examen d'un projet de décret relatif à l'amendement du Code des conseils municipaux et un autre relatif à l'élection de l'Assemblée nationale des régions et des districts. Il y a là une contradiction qu'on peine à expliquer. Il convoque le parlement, c'est-à-dire qu'à partir de la semaine, la Tunisie va avoir de nouveau des députés qui vont légiférer. En examinant des décrets relatifs au code des conseils municipaux et à la deuxième chambre, le président de la République écarte, de facto, la nouvelle assemblée qui n'a même pas encore siégé ! Le président envoie là un message clair, c'est lui et uniquement lui qui légifère. Il a beau répéter du matin au soir être à l'écoute du peuple et de ses volontés, le fait est qu'il n'en fait qu'à sa tête depuis le 25 juillet 2021. Le peuple a beau manifester dans les rues, boycotter ses élections et critiquer sa politique dans les médias et sur les réseaux sociaux, il demeure inaudible. Pire, ces critiques sont considérés comme des traîtres à la nation. Seuls les laudateurs ont droit de cité et qualifiés de patriotes. Dans un cas comme dans l'autre, Kaïs Saïed décide tout seul pour l'ensemble des citoyens comme s'il était l'unique détenteur de la vérité et comme si lui tout seul savait ce qui est bien pour l'ensemble de la population.