Le président de la République veut un genre unique de pain pour tous les Tunisiens. Le délégué de Agareb, lui, veut instaurer un système d'autorisations pour l'achat du pain. Vous trouvez ça absurde ? Nous aussi ! Jeudi 27 juillet 2023, le président Kaïs Saïed se réunit avec la cheffe du gouvernement et la ministre des Finances pour parler de la pénurie de pain subventionné dans les boulangeries. Très en colère, le chef de l'Etat est remonté qu'il y ait une crise du pain dans le pays, du fait des spéculateurs d'après lui, et qu'il y ait différentes sortes de pains dans les boulangeries. Sur un coup de tête, il décide qu'il n'y ait désormais qu'un seul type de pain, la baguette classique subventionnée à 0,190 dinar. « Il faut prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à tout cela et arrêter la vente du pain "non classé"», dit-il. Dans l'imaginaire du président, il est anormal qu'il y ait un pain pour les riches et un autre pour les pauvres et qu'il y ait une classification du pain. La décision du pain unique a beau venir du président, elle est impossible à appliquer sur le terrain. Concrètement, cela a pour conséquence de faire fermer des centaines de boulangeries qui ne peuvent, en aucun cas, couvrir leurs charges par la seule vente de la baguette subventionnée. Il est inimaginable, par ailleurs, de priver les Tunisiens du pain de leur choix. La décision du président du 27 juillet a donc été jetée à la poubelle, mais le problème du pain est resté entier. Plus d'un mois après, les longues files d'attente devant les boulangeries perdurent et les Tunisiens ont toujours du mal à trouver du pain, qu'il soit subventionné ou pas. Que faire pour résoudre le problème ? En attendant que le pouvoir central résolve le problème, en fournissant suffisamment de farine à tout le monde, le délégué de Agareb (centre du pays) a trouvé la solution et ce à travers le rationnement. Pire, il entend instaurer un système d'autorisations pour l'achat de grandes quantités de pain. Concrètement, si l'on doit appliquer la décision à la lettre, si une famille entend faire une fête ou un hommage funèbre, elle doit au préalable adresser une demande à la délégation pour pouvoir acheter le pain nécessaire à sa cérémonie. C'est juste l'absurde qui appelle l'absurde !
Toute personne dotée d'un minimum de bon sens dirait que la décision du président de la République du 27 juillet et celle de son délégué de Agareb sont absurdes. En aucun cas, l'Etat n'a le droit de décider ce qu'un citoyen doit manger. C'est juste absurde. Que le problème du pain soit du fait de la spéculation (ce qui est faux) comme l'a dit le président ou causé par fait que l'Etat n'a plus d'argent pour payer la farine qu'il monopolise, les citoyens n'ont pas à subir la mauvaise gestion du problème. Toujours est-il que plus d'un mois est passé et que la crise perdure encore. Intervient alors le coup de génie d'un délégué en mal de visibilité qui décide, tout seul dans son coin, de rationner le pain ! Y a-t-il eu concertation avec le ministère du Commerce ou ses supérieurs au gouvernorat et au ministère de l'Intérieur ? On en doute. Le fait est qu'il a annoncé publiquement sa décision et il la prend très au sérieux. Et une absurdité de plus !
Depuis le putsch du 25 juillet 2021, le pays vit d'une absurdité à l'autre et les Tunisiens subissent sans coup férir. Comme s'ils étaient résignés face aux divagations des pouvoirs publics, la présidence en tête. Des opposants qui se rencontrent pour trouver une solution à la crise politique du pays ? C'est un complot contre l'Etat et ils sont jetés en prison. Un trou dans le jardin d'une maison ? C'est un projet criminel et c'est un tunnel menant vers la résidence de l'ambassadeur de France. Un simple courrier envoyé à la présidence ? C'est une lettre empoisonnée. Un dépôt de matériaux de construction ? C'est un spéculateur qui veut appauvrir les Tunisiens. Des magistrats qui veulent respecter les procédures et la présomption d'innocence ? Ils sont limogés parce que complices des corrompus. Le président estime carrément que l'on ne doit pas respecter les procédures si elles mènent à l'impunité. Des migrants qui veulent transiter par la Tunisie pour aller en Europe ? Il s'agit d'un plan criminel dont l'objectif est de modifier la composition démographique du pays. Tout cela sans parler du véhicule de l'armée qu'il a placé devant la chambre des députés en interdisant l'accès à ces derniers, de la dissolution illégale et inconstitutionnelle du parlement, de la constitution qu'il a rédigé tout seul, de sa dissolution du Conseil supérieur de la magistrature, des multiples poursuites judiciaires contre les journalistes, les magistrats et les syndicalistes, ses éternelles attaques contre des spéculateurs imaginaires, l'argent spolié des Tunisiens dont le montant est comparable au PIB, les sociétés communautaires qui vont résoudre les problèmes du chômage, la présidence qui diffuse les légers propos d'une carriériste évoquant l'imaginaire et farfelu chiffre de 30 billions de dinars volés par un homme d'affaires et la liste est encore longue.
L'histoire du délégué d'Agareb et la question du pain unique ne sont finalement qu'un épisode de plus dans ce mauvais feuilleton d'absurdités que les Tunisiens vivent depuis l'élection de Kaïs Saïed en 2019 et spécialement depuis son putsch de 2021. Sur les réseaux sociaux, la page de la présidence sur Facebook, mais aussi celles des institutions officielles de l'Etat, sont devenues sources de moqueries. Plus d'une fois, on imagine qu'il s'agit de fake news ou de piratage, tellement les informations sont incroyables. Systématiquement, on vérifie s'il s'agit bien de la page réelle et non piratée de la présidence ou de l'institution publique à l'origine de l'absurdité du jour. Tout cela mène à une seule et unique conclusion : l'Etat et ses institutions sont en état de déliquescence certaine par la faute d'un pouvoir totalement dépassé et inconscient de ses propres absurdités.