La société Magasin Général fête, en grande pompe, son 140e anniversaire. Pourtant, à y voir de plus près, il n'y a pas grand-chose à fêter entre le déficit de la société et l'image qu'elle renvoie. À vue d'œil, ce sont des millions de dinars qui sont actuellement dépensés par la société Magasin Général pour fêter son 140e anniversaire. La publicité est partout, en affichages urbains, stations de radio et chaînes de télévision. On propose même un jeu à l'obligation d'achat déguisée (ce qui est interdit par la loi) pour gagner des prix totalisant un million de dinars avec un « chèque en blanc » (sic), des voitures, des bons d'achat etc. Pour se permettre de dépenser autant d'argent dans le marketing afin de célébrer une fête d'anniversaire, la société devrait être théoriquement en bonne santé. Or, au vu de ses derniers résultats, elle est loin de l'être. D'après les comptes arrêtés au 30 juin 2023, Magasin Général enregistre un déficit de quelque 13,948 millions de dinars. Moins grave que le déficit enregistré l'année dernière en pareille période avec 17,496 millions de dinars et ceci s'explique, en partie, par la hausse du chiffre d'affaires entre les deux périodes. Il est cependant bon de rappeler que la société a fini l'année 2022 au vert avec un bénéfice de 4,176 millions de dinars. Pourquoi a-t-elle rechuté après avoir résorbé son déficit ? La société n'a pas souhaité répondre à nos appels. À vrai dire, le bénéfice de l'année 2022 ne touche que la chaîne de magasins car au vu des résultats financiers consolidés, regroupant l'ensemble des seize filiales, la situation de Magasin Général est dramatique et va de mal en pis. En 2021, le groupe était déficitaire de 26,898 millions de dinars. En 2022, le déficit s'est creusé à 39,188 millions de dinars faisant ainsi plonger les capitaux propres de l'entreprise à quelque 82,679 millions de dinars. Très probablement, la situation va empirer en 2023, puisque la maison est en train de célébrer son anniversaire en grande pompe, alors qu'elle est en train de brûler. Anniversaire douteux Si l'on analyse bien la situation, la campagne actuelle cherche à leurrer le public, ni plus ni moins. On essaie de donner une bonne image d'une entreprise en perte de vitesse. L'histoire des 140 ans est, en elle-même, une supercherie et renvoie à une période bien noire de la Tunisie. Ainsi, on prétend que le premier espace de la chaîne a été créé en 1883 par les frères Bortoli. On ne se donne même pas la peine de donner les prénoms. Et la date est intrigante puisqu'elle vient deux ans exactement après le début du protectorat français, une colonisation qui ne dit pas son nom. Fêter en grande pompe l'exploit d'un « colon », juste pour montrer que l'on est plus expérimenté que les autres est, au mieux, de mauvais goût. Loin des stratagèmes marketing, d'un point de vue légal d'après les documents officiels déposés auprès des autorités compétentes, la Société Magasin Général (SMG) n'a pas été créée en 1883, mais le 4 octobre 1988 à la suite de la scission de la Société tunisienne d'industrie laitière (Stil) en trois sociétés (SODAT, STIL et SMG). Elle était alors propriété de l'Etat, jusqu'à sa privatisation en 2007 au profit du groupe Bayahi.
Les boulets Bayahi S'il est vrai et indéniable que les frères Bayahi ont modernisé la chaîne et l'ont rendue concurrentielle (grâce notamment à un partenariat avec la célèbre enseigne française Auchan), il n'en demeure pas moins qu'ils ont une très mauvaise presse. Ainsi, Tahar Bayahi a fui la Tunisie vers 2020, suite à une sordide affaire de malversations financières. Il est peut-être innocent des charges pesant sur lui, mais le fait est qu'il a fui et n'a pas affronté la justice qui a fini par le condamner par contumace à de la prison ferme. Son frère Taïeb ne bénéficie pas, non plus, d'une bonne presse, bien qu'il se soit débrouillé, question de redorer son image, pour devenir président du prestigieux Institut arabe des chefs d'entreprise à qui l'on doit, chaque année, l'incontournable grand-messe des affaires, « Journées de l'entreprise ». Outre ses licences de grues et de sabots qui mènent la vie dure aux Tunisois, Taïeb Bayahi a fait l'objet d'une série d'enquêtes du site d'investigation « Alqatiba ». Ici, on l'accuse d'avoir obtenu la nationalité chypriote par des stratagèmes complexes pour blanchir son argent et là on l'accuse d'être impliqué dans le scandale du Crédit Suisse. Vrai ou faux ? Comme son frère, Taïeb Bayahi s'est dérobé et a refusé de répondre au journal d'investigation, malgré les multiples relances. Clientèle désabusée Difficile de croire qu'on pourrait redorer le blason d'une entreprise dont les propriétaires de référence fuient la presse et la justice alors que le pays vit une crise économique sans précédent. Proposer des centaines de milliers de dinars de cadeaux ne fera pas venir une clientèle plus que jamais proche de ses sous et bien consciente que le slogan « nous sommes les moins chers, fini de parler » est trompeur. Aussi bien chez Monoprix et Carrefour que chez Aziza, on trouve un grand nombre de produits moins chers que dans les magasins MG. La clientèle compare entre les points de vente, des différentes enseignes, et cela est rendu plus facile grâce aux sites internet de vente à distance. Magasin Général n'est pas toujours le plus cher, c'est vrai, mais ce n'est pas l'enseigne la moins chère comme le prétend son slogan. Une question, au passage, le nombre de magasins MG est lui-même mystérieux. Alors que le site officiel de la chaîne annonce 88 magasins, la documentation officielle présentée à la bourse parle de 102 points de vente. Qui dit vrai qui dit faux ? Valorisation boursière en chute Qu'elle le veuille ou pas, la société Magasin Général ne peut pas se soustraire à son environnement socio-politique. Elle subit malgré elle, les turpitudes de ses propriétaires de référence, même si les Bayahi ne sont pas les seuls au tour de table, puisqu'il y a également le groupe Poulina et des Français au conseil d'administration. Cotée en bourse, elle est donc sous la loupe des actionnaires parmi les communs des mortels et ce qui la touche ne regarde pas que ses propriétaires de référence, mais l'ensemble des titulaires des 11,481 millions d'actions. Cette mauvaise image et mauvais chiffres ont fini par impacter l'épargne des boursicoteurs. Alors qu'elle était échangée à 39,5 dinars en 2017, l'action Magasin Général ne vaut que 11,340 dinars au cours du mercredi 11 octobre 2023. La capitalisation boursière (ce qui signifie la valeur théorique de l'entreprise) est ainsi passée de 433 millions de dinars en 2017 à 222 millions de dinars en 2020, 190 millions de dinars en 2021 et 125 millions de dinars en 2022. Naturellement, les boursicoteurs n'ont pas eu droit à des dividendes et doivent espérer que le nouveau directeur général (depuis janvier 2023) Fahd Chaouch tienne les promesses qu'il a données lors de ses communications financières. Les souscriptions à l'augmentation de capital en numéraire, ouvertes du 15 mai 2023 au 14 juillet 2023, réalisées à titre irréductible et à titre réductible, n'ont pas atteint la totalité de l'augmentation du capital social, ce qui signifie clairement un échec de l'opération et prouve la frilosité des boursicoteurs et leur manque de confiance pour le titre. Alors que d'habitude ce genre d'opérations dépasse les 100% de demandes de souscription, l'augmentation en numéraire du capital social a été réalisée dans la limite de 82,315% du montant de l'augmentation de capital initialement décidé. Tout cela en dit long sur ce que pense le monde financier d'une société en mal de convaincre, malgré ses fanfaronnades.